Édito du 14 septembre 2015.
Pourquoi une intervention militaire contre Daech ?
Question récurrente depuis les attaques sanguinaires contre les populations civiles irakiennes, syriennes ou kurdes.
Question lancinante depuis le flux migratoire des populations, qui s’en est suivi.
Question obsédante depuis la découverte sur une plage turque du corps d’ Aylan, trois ans, qui avait fui avec ses parents Kobané, ville martyrisée par Daech.
En dehors de l’aspect humanitaire, qui ne peut -et ne doit pas- laisser indifférent, la destruction du patrimoine culturel de ces régions prouve, si besoin est, l’obscurantisme intellectuel et sociétal que l’État Islamique veut imposer aux populations qu’il terrorise).
A qui la FAUTE ?
La déstabilisation complète du Moyen-Orient trouve, de mon point de vue, son origine dans l’intervention américaine en Irak en mars 2003, où après une bataille contre les forces de Saddam Hussein facilement gagnée, l’administration américaine mise en place a perdu, à la fois, la guerre et la paix.
Instaurer à la fois un Kurdistan irakien quasi indépendant et soumettre la majorité chiite de la population restante, à un pouvoir sunnite minoritaire, comme au temps de Saddam Hussein eut les conséquences qu’on connaît : lors d’élections démocratiques, la majorité chiite a porté au pouvoir un gouvernement chiite, dont l’objectif a été la domination de la minorité sunnite par une sorte d’effet miroir inversé de l’époque Saddam et que la République Islamique d’Iran aida, bien entendu, y compris dans ses pires dérives, pour que les États-Unis échouent en Irak.
L’administration américaine, incarnée par Paul Bremer, ayant détruit «l’État» et les restes de l’armée irakienne, la «Garde Républicaine», essentiellement sunnite, qui en constituait le cœur, s’est restructurée pour la guérilla contre le pouvoir chiite en place et dans un second temps, à apporté la compétence d’anciens officiers généraux de Saddam, pour assurer aujourd’hui l’encadrement militaire de Daech.
LA FAUTE n’incombe pas uniquement aux USA. Par tropisme anti iranien et chiite, les pétromonarchies sunnites du golfe (en lutte contre Daech en Irak) mais aussi la Turquie, ont décidé de «nettoyer» la Syrie de Bachar El Assad de sa minorité chiite, sous l’œil bienveillant, -pour ne pas dire complice-, des puissances occidentales.
Tout ce «petit monde» a armé, qui des milices «laïques», qui des milices sunnites, lesquelles ont fini par être absorbées par Daech…
Ainsi, Bachar El Assad (loin de ma pensée de vouloir le défendre !), avec le seul concours des milices chiites du Hezbollah et le soutien de l’Iran, se trouva seul à lutter contre les déferlantes de Daech.
Depuis quelques semaines cependant, la Turquie prenant enfin conscience du danger de déstabilisation totale que représente Daech, s’est mise à frapper les positions de l’État Islamiste en Syrie, -sans oublier, au passage, les positions kurdes- !!
LA FAUTE, incombe aussi à l’Europe et particulièrement à la France et à la Grande-Bretagne, dont les interventions en Lybie, sans avoir organisé en amont une administration post-Kadhafi cohérente (loin encore de ma pensée de défendre le dictateur !) ont entraîné le même chaos qu’en Irak après S. Hussein, transformant ce pays en point de passage des migrants du Sahel et de la corne africaine et terreau futur pour un déploiement de l’État dit « Islamique ».
Le califat d’Al Baghdadi, appelé Daech, est la résultante de cette triple faute.
Comment y remédier ? Si quelqu’un avait la solution, cela se saurait. Rien ne nous interdit, en revanche, d’explorer diverses hypothèses.
L’urgence humanitaire
On vit en direct les attentats tous plus meurtriers les uns que les autres et les naufrages de bateaux de migrants victimes de passeurs sans scrupules et prêts au sacrifice ultime pour tenter de sauver ce qui leur reste : l’espoir de leur survie.
La question n’est pas de savoir s’il faut accueillir ces migrants. La réponse est bien sûr, positive, et ce sera, bien entendu un challenge pour l’U.E. seule habilitée à trouver la solution pour «accueillir ces populations sans les ghettoïser».
L’autre enjeu est le choix de la frontière d’accueil de ces flots migratoires futurs : en aval ou en amont des frontières Schengen ? En aval : en Grèce, Italie et Hongrie, -espace Schengen- (avec les droits inhérents à cet espace). En amont : aux frontières de l’Irak et de la Syrie, donc au Liban, en Turquie ou en Jordanie (pays d’accueil de millions de Syriens et d’Irakiens, où l’équilibre démographique, sociologique et confessionnel est déjà précaire). Ce dernier choix impliquant la levée de fonds pour l’extension, sous l’égide du HCR, des camps de réfugiés déjà existants.
La meilleure option ne serait-elle pas que ces réfugiés puissent retrouver leur terre ? Seule l’éradication de Daech, au minimum sa défaite, rend possible cette hypothèse.
L’urgence militaire
Conscients de la menace de Daech, quelques pays occidentaux, -toujours les mêmes-, mais aussi voisins des zones de conflits ont décidé de réagir (Jordanie et Turquie quand elle s’aperçut enfin que la déstabilisation pouvait aussi la concerner).
En Irak, le régime chiite, défend avec l’aide de l’Iran la population civile chiite contre Daech. Les kurdes par l’envoi de matériels et de conseillers militaires, s’en sortent tant bien que mal.
Ce soutien se révélant inefficace, la coalition occidentale leur vient en aide par des frappes aériennes sur les positions de Daech.
En Syrie, la rébellion, contre Bachar El Assad fractionnée, dispersée façon puzzle, armée par les pétromonarchies du golfe (avec l’aval de la coalition occidentale), n’a jamais été en mesure de renverser le régime et a fini par être absorbée puis digérée par la fraction la plus en pointe de la rébellion, c’est-à-dire Daech…
l y a d’ailleurs fort à parier que si le président des USA à l’été 2012, ne s’était pas opposé au président français et au premier ministre britannique (qui souhaitaient opérer des frappes aériennes contre les positions de Bachar El Assad), Damas serait aujourd’hui aux mains de Daech…
Mais les choses changent… et aujourd’hui il semblerait qu’on puisse «composer avec Bachar El Assad» (voir édito du 23/2/2015 http://modem56.lesdemocrates.fr/2015/02/22/edito-du-23-fevrier-2015/
Peut-on éradiquer Daech uniquement par des frappes aériennes ? Non ! et la logique veut que des opérations militaires soient conduites au sol par une coalition non issue de l’OTAN (ce qui, une fois encore, brouillerait le message) regroupant Ligue Arabe, forces aériennes et forces spéciales de l’OTAN (seules aptes à débusquer et à neutraliser les djihadistes et ne devant pas se résumer aux trois seuls pays habituellement engagés : USA, France, et Grande-Bretagne, mais par l’ensemble des pays européens et incluant la Russie).
L’Iran, dont les relations avec les États-Unis et l’U .E. sont en voie de stabilisation, devra être intégrée au processus. Enfin, au-delà de l’aspect militaire, on devra tarir les flux financiers vers Daech, en particulier en stoppant la contrebande de pétrole avec la Turquie. C’est à ce prix que l’on pourra faire reculer l’État dit «Islamique».
L’urgence diplomatique
Daech annihilé, le feu continuera à couver sous la cendre. Il faudra bien trouver une solution pour régler le départ de B. El Assad en y associant Russie et Iran. Ceci réglé, c’est Al Nosra (aujourd’hui positionné au nord-ouest de la Syrie), franchise d’Al Qaeda en Syrie, soutenue par l’Arabie Saoudite et le Qatar qui risque de prendre Damas, entraînant une déstabilisation immédiate du Liban…
La problématique kurde, quant à elle, comprise dans sa globalité, devra faire l’objet d’un traitement spécifique.
Enfin, l’Islam, en tant que religion, ne pourra pas faire l’économie d’une introspection et d’un profond dialogue entre Sunnites et Chiites, particulièrement en Irak. Après tout, en France le temps fût long avant d’apaiser nos guerres de religions…
L’ultime urgence diplomatique ne serait-elle pas aussi, que l’ONU revisite les accords Sykes-Picot de 1917, qui organisèrent le démantèlement de l’empire ottoman, imposant un tracé des frontières inspiré par «une certaine odeur de pétrole» ?
Jean-Yves TRÉGUER
Président du Modem du Morbihan