Actualités d’Europe du 20 novembre 2017
LE BREXIT, LES MINISTRES, LE PROFESSEUR ET L’ESPION… OU COMMENT LA RUSSIE
TIRE LES FICELLES AU ROYAUME UNI !
Les accusations portées contre un assistant de Trump ont choqué les USA – mais éclairent sous un nouvel angle les connexions qui relient la Russie au Brexit et au Ministère des affaires étrangères britannique.
Aux environs du 25 ou 26 avril 2016, un membre de la campagne présidentielle de Donald Trump envoie un mail à son supérieur avec de bonnes nouvelles. Ses efforts à joindre les plus hauts niveaux du pouvoir à Moscou ont porté leurs fruits : « Le gouvernement russe envoie une invitation ouverte de Poutine pour organiser une rencontre dès que M. Trump est prêt. »
Il s’agit de George Papadopoulos, un conseiller en politique étrangère âgé de 30 ans qui a été arrêté en juillet dernier par la FBI selon les révélations de cette semaine, après avoir menti à propos d’une série de rencontres avec un homme que la FBI décrit comme « un professeur basé à Londres ». La phrase suivante du mail ajoute une ligne d’explication supplémentaire : « L’avantage d’être à Londres, c’est que ces gouvernements ont tendance à parler un peu plus ouvertement dans des « villes neutres ». »
L’accusation contre Papadopoulos est une lecture passionnante (…) qui se limite uniquement aux faits. De sorte qu’elle offre non seulement l’évidence de collusion entre la campagne de Trump et le régime de Poutine, mais aussi pour la première évidence tangible et concrète du rôle central de la Grande Bretagne dans ce réseau.
(…) En Grande Bretagne, on commence seulement maintenant à se poser des questions brûlantes malgré les récents développements dramatiques aux USA. La semaine dernière on a vu deux comités du Sénat américain traîner Google et Twitter à la barre des témoins. Les publicités électorales américaines d’origine russe qu’ils avaient publiés avaient été réglés en roubles, selon un sénateur: « Pourquoi Facebook ne l’a-t-il pas repéré ? »
Pour ce qui est du Brexit, Facebook n’a soufflé mot. Aucune publicité n’a été vérifiée. Rien – même si Ben Nimmo du thinktank Atlantic Council a demandé à témoigner devant le comité du renseignement britannique la semaine dernière et déclare que l’évidence de l’interférence russe en ligne est maintenant « incontestable ». Il dit : « il n’est franchement pas imaginable que nous (les britanniques) n’ayons pas non plus été leur cible. » (…)
Les révélations de la semaine passée introduisent un casting tout neuf de personnages, dont le centre converge à Londres – cette « ville neutre » – qui joue le role qu’avait Vienne pendant la guerre froide. « La ville toute entière est un nid d’espions », selon une source du renseignement britannique au journal The Observer cette année. « Il y a davantage d’activés d’espionnage ici qu’au plus fort de la guerre froide. »
Le 25 avril 2016, le monde ne savait rien de Papadopoulos, de Trump et la Russie, ou d’un homme identifié comme le « professeur de Londres ». Il s’agit d’un universitaire maltais de 57 ans, Joseph Mifsud. Joint par des journalistes, il confirme que l’accusation américaine se réfère bien à lui, mais il nie tout lien avec la Russie ou des « saloperies sur Hillary » dans « des milliers de mails ».
Mais ce que le document n’explique pas clairement – et que The Observer a appris depuis – c’est que à la fois Mifsud et Papadopoulos avaient des contacts au coeur du gouvernement britannique. (…) Une relation commune, Alok Sharma, a placé le « professeur de Londres » dans l’orbite directe du ministre des affaires étrangères, Boris Johnson. (…) Quand on a demandé à Boris Johnson la semaine dernière si il y avait la moindre évidence d’interférence russe dans la politique britannique, il a répondu : « ni vu, ni connu ». Il ne peut avoir trop cherché. Il est de loin le politicien de premier plan à avoir été le plus ciblé.
Et parmi les autres leaders de la campagne référendaire du « Leave » (non à l’UE) au printemps 2016 on en trouve plusieurs autres. (…) Car The Observer et The Guardian ont enquêté sur l’influence américaine et l’argent russe de la campagne du référendum (du Brexit) et ont trouvé des tentacules bien plus profondes que ce que l’on croyait auparavant. (…)
L’annonce surprise la semaine dernière de la commission électorale (britannique) d’une enquête sur « les véritables sources des donations » à la campagne référendaire du Leave pointe Arron Banks, un donateur qu’on avait cru principal – mais en fait marginal – de la campagne de Farage « Leave.EU ». Et ce au détriment du dirigeant de la campagne « officielle », « Vote Leave » emmenée par Boris Johnson. Cependant ce dernier n’était pas la tête légale de cette campagne (du non à l’UE). C’était Matthew Elliott, 39 ans, un stratège politique au parti conservateur. (…)
En effet en 2012, ou peut-être encore plus tôt, Matthew Elliott a été ciblé par un homme que le ministère de l’intérieur aujourd’hui identifie comme un espion russe, Sergey Malobin. Il était le premier secrétaire de l’ambassade de Russie à la section politique lorsque Elliott l’a rencontré.
Selon un rapport du Daily Telegraph, « sa mission était de construire des relations avec des parlementaires. On le retrouvait à tous les cocktails et les toutes conférences de l’entourage de Westminster (le parlement britannique). »
Nalobin était aussi un personnage qui, en août 2015, a eu son permis de séjour révoqué. Le ministère de l’intérieur a refusé de renouveler les visas de quatre diplomates russes, ce qui est normalement une simple affaire de routine.
Parmi ces quatre il y avait Nalobin. Le timing n’était pas une coïncidence : une semaine plus tôt, l’enquête sur la mort d’Alexander Litvinenko concluait qu’il « avait probablement été assassiné sur les ordres personnels de Poutine ». (…) Une série de rapports par Luke Harding du « Guardian » et d’autres journalistes ont révélé que Nalobin était intimement lié au FSB (le KGB est l’ancêtre du FSB) (…)
Boris Johnson a-t-il eu vent des relations entre Elliott et un agent russe ? Probablement, vu qu’il connaissait aussi Nalobin. Ils ont été photographiés ensemble lors d’évènements à l’ambassade de Russie.
Les révélations de la semaine dernière vont-elles enfin mettre en lumière la relation de la Russie au Royaume Uni ? (…) Il est clair que ne s’agit là que de la partie émergée du iceberg. (…) « Londres est l’un des avant-postes des programmes d’influence russe financière et politique en occident. Il y coule de l’argent sale. Tous les oligarques y possèdent une base, y ont leurs résidences. (…) Des avocats et des détectives montent des opérations privées au nom des oligarques qui eux travaillent pour le compte de Poutine. Il y a une évidente mauvaise volonté britannique à étrangler la poule aux oeufs d’or. Parce que beaucoup de monde très proche du centre du pouvoir en profite financièrement. » (…)
Le problème étant que beaucoup de parlementaires et de partis officiels sont « désespérément naïfs et mal informés au sujet de la Russie. » Et d’ailleurs peut-être le citoyen lambda aussi ?
D’après un article de Carole CADWALLADR THE GUARDIAN du 4 Novembre 2017, traduit de l’Anglais par Lisa Cole BERG (militante Modem du Morbihan)
* Note du traducteur : Le livre de Luke HARDING « Collusion » qui vient de sortir (déjà traduit en 10 langues, devrait apporter d’autres révélations et analyses propres à éclairer nos lanternes.