ÉDITO DU 15 OCTOBRE 2017
LES INCONSÉQUENCES
DU PRÉSIDENT TRUMP
Selon la presse américaine, tout laisse à penser que le Président Trump, qui n’a jamais fait mystère de son rejet de l’accord de Vienne (sur l’arrêt de l’enrichissement d’uranium par l’Iran, avec comme contre- partie, la levée des sanctions économiques internationales, signé le 14 juillet 2015), négocié par son prédécesseur, Barack Obama, refusera de certifier au Congrès que l’Iran respecte ses engagements.
Et ceci, malgré tous les rapports délivrés depuis par l’A.I.E.A. (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), indiquant que l’Iran respecte l’accord de Vienne.
Comme tout accord, celui-ci n’est pas parfait, mais en interdisant à Téhéran un niveau d’enrichissement d’uranium lui permettant de s’ouvrir le chemin vers une militarisation de son programme, et en le soumettant à une stricte surveillance de la part de l’A.I.E.A., on peut considérer qu’il était « gagnant-gagnant ».
Il est intéressant de noter que cette procédure de certification, qui se répète tous les quatre-vingt-dix jours, est une loi imaginée par Bob CORKER, sénateur républicain du Tennessee, pour entraver l’accord signé par l’administration OBAMA, mais jamais entériné par le Congrès (à majorité républicaine à l’époque).
Pour la « petite histoire », il faut noter que le Président TRUMP et le Sénateur CORKER, ont eu un échange « musclé » via Tweeter le week-end dernier.
Le premier affirmant que le sénateur « avait mendié le poste de secrétaire d’État et était largement responsable de l’accord horrible conclu en 2015 avec l’Iran »
Le sénateur lui répondant « qu’il était dommage que la Maison-Blanche soit devenue une halte-garderie pour adulte et que, apparemment, quelqu’un venait, manifestement, de manquer son tour de garde » !!
Pour être objectif, il faut dire que, par deux fois depuis son investiture à la présidence des États-Unis, Donald TRUMP a certifié le respect des accords par l’Iran.
Mais depuis, en mai dernier, il y a eu sa visite officielle en Israël et en Arabie Saoudite, conjuguée à la reprise en main de la Syrie, par la Russie et l’Iran. Et comme il n’y a pas de hasard, il a bien fallu dénoncer et tenter de mettre au ban international un pays responsable du soutien initial à Daesch. Le Qatar fera l’affaire ! Mais l’était-il plus que les Saoudiens ou les Émiratis ?
Le Président TRUMP aurait, depuis cet été, demandé à ses collaborateurs de trouver des arguments contre l’accord de Vienne.
Ceci n’est pas sans rappeler l’année 2003, quand le Président George W. Bush avait « sollicité » son administration pour lui fournir des informations contre l’Irak. Lesquelles informations avaient, par la suite, fait l’objet d’une présentation officielle par Colin POWEL, alors Secrétaire d’État américain à la tribune des Nations-Unies. On se rappelle que George W. Bush s’était alors appuyé sur lesdites informations, pour déclencher la guerre et envahir l’Irak en mars 2003. Or, une fois Saddam Hussein renversé (loin de moi de le défendre), celles-ci s’étaient avérées fausses…
En cas d’avis négatif du président américain, le Congrès peut, dans un délai de 60 jours, soit maintenir la levée des sanctions entraînée par l’accord, soit les réimposer.
Qu’adviendrait-il si le Congrès, travaillé par les lobbies saoudiens et israéliens, prenait une telle décision, objet, rappelons-le d’un vote aux Nations-Unies ?
La première réponse à cette question est : que feront les Européens ?
Pour mémoire, trois d’entre eux ont signé l’accord de Vienne souvent qualifié d’accord des 5+1 (5 membres du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne), et l’Europe en tant que telle était observatrice de cet accord.
Se laisseront- ils intimider et eux aussi réintroduiront-ils des sanctions ?
Dans cette hypothèse, quid des accords, contrats et investissements mis en œuvre depuis deux ans en Iran, par TOTAL, PSA, RENAULT, BMW, SIEMENS ou AIRBUS, sans compter les sous-traitants de ces grands groupes ?
Les Européens laisseront – ils faire, en prenant le risque de mettre en difficulté le Président iranien Hassan ROHANI et son gouvernement d’ouverture, quitte à favoriser la reprise en main de l’Iran par l’aile dure du régime ?
La semaine dernière à New-York, Mohammad JAVAD ZARIF, ministre iranien des affaires étrangères, déclarait :
« Les ÉTATS-UNIS feraient une erreur stratégique en envoyant au monde le signal qu’ils ne sont pas un partenaire fiable. Tous les accords sont faits de concessions que vous faîtes et que vous recevez. Mais aucun accord n’est durable si vous empochez des concessions et revenez une fois l’accord passé demander de nouvelles concessions. Cet accord de Vienne ne doit pas être réouvert ».
Au cours du même interview, JAVAD ZARIF explicitait en des termes, que l’on qualifie de « francs » en diplomatie, les bases de l’accord de Vienne : « Rien dans ce deal n’est fondé sur la confiance. Aucune partie n’avait confiance en l’autre : nous n’avions pas confiance dans les États-Unis, qui n’avaient pas confiance en nous ».
Les traités pour la diplomatie, les contrats pour le business, ont été établis pour annihiler la défiance réciproque originelle, même si en l’occurrence il s’agit d’un accord (J.C.P.O.A. pour Joint Comprehensive Plan of Action).
De Emmanuel MACRON, Président français, à Xi JINPING, Président chinois en passant par, Teresa MAY, première Ministre britannique, Sigmar GABRIEL, Ministre allemand des Affaires Étrangères, Vladimir POUTINE, Président russe, Frederica MOGHERINI, responsable de la diplomatie européenne, tous et toutes avaient appelé Donald TRUMP à ne pas revenir sur cet accord de Vienne.
Maintenant que la non certification a été annoncée par le Président américain, ce qui entraîne, de facto, un transfert de décision vers le Congrès US, lequel a soixante jours pour décider, ou non, de la reprise des sanctions économiques.
Espérons que, si les signataires européens n’ont pas été entendus par le Président américain, leur appel débouche sur une initiative et des dispositions pour mettre en place des procédures qui ne pénalisent pas l’industrie et le système bancaire européen, pour pouvoir continuer à appliquer cet accord.
Il est incontestable que cette décision, du Président Trump, va nuire au climat de prévisibilité sur la non-prolifération, dans cette partie du monde.
Il faut faire en sorte que les modérés au pouvoir en Iran, ne se sentent pas lâchés par les signataires européens de l’accord, ce qui profiterait à l’aile dure du régime en place à Téhéran.
Ne réécrivons pas l’histoire, de 2003 à 2005, période durant laquelle l’Iran avait déjà arrêté son processus d’enrichissement d’uranium, suite à un accord signé par la « troïka » européenne (les ministres des affaires étrangères : Dominique de Villepin, Joschka Fischer, Jack Straw, et un certain Hassan ROHANI, côté iranien).
Malheureusement, l’arrivée au pouvoir à Téhéran en 2005 d’un certain AHMADINEJAD, favorisé en partie par un non-respect des accords par les européens, avait ruiné cet accord.
A cet égard, l’appel téléphonique hier soir, du Président de la République Française au Président iranien Hassan ROHANI, va dans un sens positif qui pourrait encore être accentué par la confirmation, lors de son interview de demain soir sur TF1, d’une visite à Téhéran du Président MACRON.
Visite qui, outre le symbole, permettrait à l’Europe et à la France, d’une part de se positionner en pointe sur ce dossier, et d’autre part, de montrer que c’est plus le Président TRUMP qui est isolé, que le Président ROHANI.
Au-delà du respect que l’on doit à un accord signé entre ÉTATS, un tel manquement des États-Unis, après le retrait de la COP 21 et de l’UNESCO, est un mauvais signal envoyé au monde, qui n’a, sûrement, pas besoin d’une seconde Corée du Nord.
Jean-Yves TRÉGUER
Président du Modem 56