EDITO du 14 novembre 2016.
CONTRE – POINT SUR LA SITUATION EN SYRIE
Les bombardements et les pilonnages russes et / ou syriens sur Alep-Est, sont désastreux, scandaleux, immoraux… et personne ne peut les cautionner ou les justifier !Mais les terrifiantes images de la guerre au quotidien, où l’on redécouvre qu’elle est sale, cruelle, sans compassion, ne masqueraient-elles pas une autre réalité, celle d’une autre guerre, dont le peuple syrien ne serait que la victime ?
L’analyse de la situation faite, dès 2011, n’aurait-elle pas confondu «ÉTAT syrien» et «régime syrien» et cette confusion n’aurait-elle pas nourri la guerre en elle-même ?
Dès les premiers soulèvements de 2011 à Damas, les diplomaties occidentales ont cru ou voulu croire à un nouveau printemps arabe, similaire de ceux de Tunis ou du Caire, ne voulant pas voir qu’il s’agissait plutôt d’une tentative de reconquête du pouvoir par des djihadistes sunnites (dont ce qui allait devenir Daech), comme c’était le cas, depuis 2008, en Irak, aux dépends des autorités chiites élues.
A ce moment là, il était encore temps d’aider «L’ÉTAT syrien» à se défendre contre cette offensive islamiste, au lieu d’aider divers groupuscules à le déstabiliser.
Le sort du « régime syrien» incarné par Bachar El Assad (que je ne veux ici en aucun cas défendre) était accessoire, et son sort aurait pu être réglé plus tard….
C’était «l’ÉTAT syrien», laïc, protecteur des minorités-de toutes les minorités- qu’il fallait aider.
Comment ne pas s’apercevoir des incohérences, au plus haut sommet de l’État français, entre notre (je serais tenté d’écrire «nos») diplomatie(s), nos actions militaires, notre politique intérieure et notre volonté d’accroître le périmètre de notre commerce extérieur ?
Comment peut-on justifier notre intervention au Mali contre des djihadistes sunnites,notre aide en Irak au gouvernement chiite, en lutte contre des djihadistes sunnites (Daech), et apporter notre soutien aux groupuscules sunnites, dont Al Nosra, branche syrienne d’ Al Qaida, tout en faisant commerce, (entre autres d’armements), avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, – financiers du djihadisme sunnite et leaders d’une coalition anti-chiite au Yémen- (où les bombardements sur Sanaa, de la dite coalition n’ont rien à envier aux bombardements russo-syriens sur Alep), tout en regardant avec «avidité» s’ouvrir le marché iranien pour nos industriels ?
Comment, ne pas profiter d’une visite du président russe (venu inaugurer un centre culturel), pour lui dire ce que l’on pense de sa politique syrienne ?
Et dans quelles conditions et sous quelles formes, ce refus fut annoncé !!
L’incohérence du discours diplomatique français pose de nombreuses questions, à commencer par celle-ci : «À qui la Syrie sera livrée après le départ (mort ou vif) de Bachar El Assad, et une fois que Daech aura été contraint d’aller «voir ailleurs» ?
Aux pseudo modérés qui pérorent dans les couloirs des négociations de paix à Genève et paradent dans le hall des palaces parisiens ?
Au Front Al Nosra ?
Aux «Forces Démocratiques Syriennes» ?
Comment penser un instant que ces obligés de l’Arabie Saoudite et du Qatar, -dont nous sommes nous mêmes les obligés-, sauront, une fois au pouvoir, assurer la survie des communautés qui ont fait l’histoire de la région, laquelle ne passe que par le maintien des structures laïques de l’État syrien.
«Même pas en rêve» !
Pour rêver et pousser à son comble l’incohérence diplomatique, nous avons notre ministre des Affaires Étrangères, Jean-MarcAyrault, («totale-ment étranger aux affaires»… comme dit quelqu’un pour qui j’ai le plus grand respect).
Reprenons quelques-unes de ses déclarations lors de l’ interview accordé à L.C.I. le 5/10/2016 :
«La politique de la France est claire, nous avons une stratégie et une vision…»
On aimerait savoir laquelle ! Depuis 2011, notre politique étrangère est réduite à une diplomatie économique, (c’est-à-dire la vente d’armes aux pays sunnites pour éventuellement s’emparer du pouvoir à Damas), et à une diplomatie humanitaire d’aide aux ONG qui portent secours aux victimes syriennes de notre activisme militaro-économique !
Notre désengagement précipité de Syrie, tant politique que diplomatique, nous rend «aveugles» aujourd’hui sur ce pays (plus d’Ambassade donc moins de renseignements, car moins de «Services»).
Le parti-pris immodéré pour les puissances sunnites de la région (voir l’article du POINT du 20/10/2016), allié à une forme de dogmatisme moralisateur, fit dire au prédécesseur de Jean-Marc Ayrault (Laurent Fabius), en août et décembre 2012 que «Bachar El Assad ne méritait pas d’être sur terre» et qu’ «Al Nosra faisait du bon boulot» !!!
Comment ne pas penser que de telles déclarations auraient éventuellement pu déclencher chez les apprentis djihadistes français le désir de partir faire le djihad en Syrie, confortant l’idée d’appartenir à une œuvre, sinon de bienfaisance, à minima salutaire ?
Ces éléments font qu’aujourd’hui la France n’est pas entendue sur le dossier syrien, ni par Washington (figée par ses élections présidentielles), ni par Moscou (engagée sur d’autres stratégies, où l’Ukraine pourrait faire office de variable d’ajustement).
Toujours au cours de la même interview, Jean-Marc Ayrault déclare :
«La guerre ne sert à rien, elle ne fait que renforcer les djihadistes».
Dans ce cas, pourquoi déployer nos Rafales et Mirage 2000, en Jordanie et aux Émirats Arabes Unis, pourquoi projeter en méditerranée orientale le porte-avions Charles de Gaulle ? Parce que, si j’ai bien compris, c’est pour faire la guerre aux djihadistes !
A moins qu’il y ait des bons et des mauvais djihadistes ! Les mauvais, nous les combattons, les bons, nous les soutenons !
Les djihadistes ou rebelles (peu importe leur nom) qui contrôlent Alep-Est sont-ils de bons ou de mauvais combattants ?
A en croire une communication de Georges Malbrunot (grand reporter au Figaro, actuellement en reportage à Alep-Est), si du 19 au 22 octobre, lors de l’arrêt des bombardements, aucun blessé, aucun civil, aucun enfant, n’a pu quitter Alep-Est, ce serait parce que les combattants qui la contrôlent les en auraient empêchés…
Cette trêve, prolongée depuis, n’a toujours pas permis d’évacuation, l’ONU, rejetant la faute a l’ensemble des parties en présence, et les forces russo-syriennes, tôt ou tard reprendront leurs bombardements.
Toujours au cours de la même interview, et en guise de conclusion, Jean-Marc Ayrault déclare :
«La Syrie future devra être unitaire, avoir des structures étatiques stables, protectrices de ses minorités, mettre en place des institutions solides, contrôler son armée et ses Services…»
On croit rêver, n’est-ce pas là, la définition de ce qu’était la Syrie, avant la guerre qui est en train de la broyer ?
A ceci près : Ce serait le même État, mais sans Bachar El Assad.
Quand je disais en introduction, que l’on avait confondu «État syrien» et «régime syrien…» ? Mais ne serait-il pas déjà trop tard ?
Jean-Yves TRÉGUER
Président du Modem 56