Édito du 11 janvier 2016.
RIYAD-TÉHÉRAN
DES VOEUX ENFLAMMÉS…
À Riyad, l »exécution de Cheikh Nimr, dignitaire chiite saoudien, figure de la contestation dans le royaume,-plus ou moins camouflée par l’exécution simultanée d’une quarantaine de sunnites radicaux liés à al Qaïda-, n’est en fait que la partie émergée de l’immense iceberg que constituent les rivalités entre le Royaume Saoudien et la République Islamique, aux plans religieux, politiques, stratégiques et économiques.
L’antagonisme religieux remonte à la mort du prophète en 632, et à la désignation de son successeur :
– les futurs chiites désignent Ali, gendre et fils spirituel de Mahomet, au nom des liens du sang.
– les futurs sunnites désignent Abou Bakr, compagnon de toujours de Mahomet, au nom du retour aux traditions tribales. Une majorité de musulmans soutiennent alors Abou Bakr, qui devient le premier calife.
Les sunnites sont depuis restés majoritaires représentant aujourd’hui environ 85 % des musulmans du monde (les seuls pays à majorité chiite étant l’Iran, l’Irak, Bahrein, l’Azerbaïdjan et le Liban).
D’importantes minorités chiites existent au Pakistan, en Inde, au Yémen, en Afghanistan, en Arabie saoudite et en Syrie au travers de Alaouites (branche du chiisme).
Les sunnites considèrent le Coran comme une œuvre divine et l’imam comme un pasteur faisant office d’intermédiaire entre Dieu et le croyant pour la prière. Cet imam élu, peut éventuellement s’auto-proclamer, avec les dérives que l’on constate aujourd’hui.
Les chiites considèrent l’imam comme un descendant de la famille de Mahomet, tirant son autorité directement de Dieu et donc comme guide indispensable à la communauté. Dans le clergé chiite ils portent un turban noir.
Les sunnites acceptant que l’autorité religieuse et politique soient confondues en une seule et même personne, les chiites prônant, une séparation claire et totale des pouvoirs.
Au plan religieux, la rivalité a pour cause le désir de domination du monde musulman et surtout des lieux saints de la Mecque et Médine, (conquis en 1925, après le démantèlement de l’empire Ottoman, par Ibn Saoud, fondateur de la dynastie des Saoud, grand-père des rois qui se succèdent sur le trône de Ryiad, de demi-frère en demi-frère.
Au plan politique, la rivalité se situe, à-minima, dans la recherche d’influence sur le Proche et le Moyen- Orient, voire dans une forme de domination.
Jusqu’à la révolution islamique de 1979, c’est l’Iran monarchique du Shah qui eût ce rôle dominant. Puis, profitant des désordres occasionnés à Téhéran par la révolution et la guerre avec l’Irak, et à la faveur de la manne financière induite par la flambée des cours du pétrole, (lui permettant d’investir dans son système de défense), l’Arabie Saoudite s’est peu à peu positionnée comme le «gendarme» du golfe arabo-persique, (avec la «bénédiction» des États-Unis en «guerre froide» avec l’Iran).
Le point d’inflexion des relations américano-saoudiennes se situe le 11 septembre 2003 et n’ont fait que se détériorer depuis, au point que les saoudiens ont tout fait pour mettre en échec les accords sur le nucléaire iranien signés à Vienne en juillet 2015, et continuent à tout mettre en œuvre pour retarder leurs applications.
Depuis les «printemps» arabes et plus particulièrement depuis la répression sanglante des manifestations chiites à Bahreïn (par les forces de sécurité saoudiennes) et sunnites, en Syrie (par les troupes de Bachar el Assad), les relations irano-saoudiennes se sont envenimées, au point que chiites et sunnites sont en conflit ouvert, par alliés interposés, en Syrie, au Yémen, au Liban voire en Irak..
Mais toutes ces gesticulations sont aussi des messages des dirigeants de ces deux pays à leurs populations respectives :
– En faisant exécuter un dignitaire chiite, l’Arabie Saoudite veut donner des gages aux
extrémistes de sa majorité sunnite attirés par Daech. Le roi Salmane, successeur d’ Abdallah, a besoin d’affermir sa position face aux autres clans de la famille des Saoud. Il a laissé son fils de 35 ans, jeune et fougueux vice-prince héritier Mohamed ben Salmane et ministre de la défense, engager le royaume dans une guerre aux conséquences encore insoupçonnables avec le Yémen voisin, contre les rebelles chiites houtistes (et, donc indirectement contre l’axe chiite pro-iranien).
L’aviation saoudienne n’hésitant pas à détruire des pans entiers d’architecture millénaire, répertorié au patrimoine mondial de l’UNESCO, dans la capitale yéménite Sanaa.
Cette exécution est également une forme d’ «œil pour œil», après la mort du chef rebelle syrien Zahran Alloush, fin décembre, près de Damas, car il était l’ homme-clé des Saoudiens dans la guerre civile syrienne. Après sa disparition, son «armée de l’islam» (financée et appuyée par Riyad) est aujourd’hui affaiblie, ce que les Iraniens, alliés de Damas, ne pouvaient ignorer !
– En organisant le saccage de l’ambassade saoudienne à Téhéran, les conservateurs de la République Islamique Iranienne font monter les enchères en vue des deux élections importantes iraniennes du 26 février prochain :
– l’élection au Majlis – assemblée – aujourd’hui à majorité conservatrice et que le président réformateur Rohani espère emporter,
– l’élection de « l’Assemblée des experts », (dont la fonction est d’élire le guide suprême au décès du titulaire). Pour cette élection aussi, un affrontement très dur est à prévoir en Iran entre conservateurs et réformateurs.
Sur ces rivalités religieuses et politiques, viennent se superposer une rivalité économique :
Au moment où le royaume saoudien organise l’effondrement des cours du pétrole, pour toucher à la fois les États- Unis – dont la production à base de shiste bitumineux , a un coût de production élevé – et l’Iran (qui n’a pas encore démarré la modernisation de ses infrastructures pétrolières pour doubler sa production journalière de barils de brut), qui par le dégel de ses avoirs bloqués depuis 1979 au plan mondial, devrait recouvrer quelques 150 milliards de dollars propices à accélérer l’économie iranienne, au grand dam de son voisin saoudien…qui ne ménagera pas ses efforts pour essayer de contraindre une future influence iranienne au Moyen et Proche Orient.
Les conséquences politiques de ce regain de tension entre les deux pays ne feront que remettre du «sel sur les plaies» d’un Moyen-Orient à feu et à sang.
La grande conférence sur la Syrie, prévue le 25 janvier à Genève où Saoudiens et Iraniens doivent se retrouver autour de la même table avec les grandes puissances, aura-t-elle lieu ?
Il sera difficile pour eux de se dérober au processus enclenché (par un vote unanime du Conseilde sécurité de l’ONU de la résolution 2254, pour une ébauche de transition politique en Syrie). Mais leur violent affrontement risque de faire le jeu de Daech, et d’avoir des répercussions géopolitiques sur l’ensemble du Proche et Moyen Orient. Il est à espérer que la sagesse l’emportera sur la fougue……
Si l’escalade devait se poursuivre :
– les efforts diplomatiques qui ont réussi à imposer à toutes les parties prenantes un ennemi commun : Daech seraient ruinés .
– la crise polariserait un peu plus la lutte confessionnelle au Moyen-Orient et intensifierait la guerre que se livrent par procuration Iraniens et Saoudiens en Syrie, au Yémen voire en Irak.
– les alliés occidentaux de Riyad seraient placés dans une position plus qu’embarrassante, au moment où, en France et aux États-Unis, on commence à se poser des questions sur la maison des Al-Saoud (pas plus regardante vis-à-vis des Droits de l’Homme que ne l’est la République Islamique d’Iran)…
Jean-Yves Tréguer
Président de la Fédération MoDem du Morbihan.