Édito du 13 juillet 2015.
Nucléaire Iranien
Point de vue sur
les négociations de Vienne.
Le groupe des 5+1 négociateurs (5 membres du Conseil de sécurité de l’ONU + l’Allemagne) et l’Iran, s’étaient quittés à Lausanne le 2 avril dernier sur un accord intermédiaire, se donnant jusqu’au 30 juin pour finaliser un accord définitif et trouver une solution aux points susceptibles d’entraîner un blocage de la négociation et une non signature de l’accord.
Au nombre de trois, ces points bloquants n’avaient toujours pas trouvé de solutions au 30 juin et les négociateurs s’étaient donnés une semaine supplémentaire jusqu’au 7 juillet pour :
• déterminer le flux des inspections de l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique). (où et comment placer le curseur sur la fréquence des visites de sites militaires, pour détecter une «possible dimension militaire» au programme nucléaire.
• décider la poursuite d’études de recherche sur les centrifugeuses.
• fixer les échéances ou étapes de levée des sanctions.
Ayant la certitude qu’au sein du groupe des 5+1, l’administration américaine est la plus en pointe, le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, est retourné à Téhéran le 29 juin pour rencontrer le président Hassan Rohani et surtout le guide suprême Ali Khamenei. Chez eux, Il a reçu pour instructions de ne pas «tuer» les négociations.
Ainsi, la route est ouverte pour des choix politiques et un compromis sur les trois blocages et pour ouvrir une «négociation dans la négociation» (exclusivement entre Américains et Iraniens) afin de trouver une issue favorable. J’y reviendrai plus loin.
Le premier de ces points de blocage, consiste dans la fréquence et la géographie des inspections de l’AIEA.
La quantité et le pourcentage d’uranium enrichi, et le nombre de centrifugeuses que l’Iran serait autorisée à opérer sur ses sites de Natanz et de Fordow avait déjà fait l’objet d’un consensus en avril à Lausanne.
Restait à trouver un accord sur la possible dimension militaire du programme nucléaire iranien, et par voie de conséquence l’inspection des sites militaires de la république islamique (qui au prétexte du «secret défense», s’opposait à ces inspections). Un compromis pourrait être trouvé, par le biais d’inspections réglementées et non aléatoires. Ainsi, l’AIEA ne serait autorisée à visiter ces sites militaires qu’en cas de suspicion d’une dérive militaire du programme nucléaire.
Parallèlement, comme convenu en avril 2015 lors de l’accord-cadre de Lausanne, le périmètre futur du programme nucléaire iranien a été approuvé :
il faut que le temps nécessaire à produire suffisamment d’uranium enrichi en vue d’ une arme nucléaire soit d’au moins un an pendant dix ans.
Le second point concerne l’axe de recherche sur les centrifugeuses. S’étant mis d’accord sur leur nombre et par voie de conséquence sur une production annuelle d’uranium enrichi, il n’était pas question pour les 5+1 de laisser la république islamique poursuivre ses recherches en matière de performances et d’amélioration de ses centrifugeuses.
Le troisième point décidera de la levée des lourdes sanctions pesant sur l’économie iranienne, qui était resté sans réponse, cohérente, à Lausanne.
La position iranienne est de réclamer une levée immédiate des sanctions, dès signature de l’accord, et plus particulièrement des sanctions onusiennes de 2006 (résolution 1737) et de 2010 (résolution 1929, concernant notamment l’armement).
La position des 5+1 : «L’Iran doit d’abord exécuter ses engagements avant que les sanctions sautent», incline à la levée progressive des sanctions, en s’assurant de la possible réintroduction des dites sanctions, en cas de manquements à l’accord. C’est sans doute là une limite à «l’empilage» des sanctions onusiennes, qui finissent par entremêler sanctions financières, embargo pétrolier et embargo sur l’armement, au point qu’il devient ensuite difficile de lâcher l’un sans lâcher l’autre…
J’évoquais plus haut une «négociation dans la négociation» impliquant aussi les «non-dits» de la lutte contre Daech en Irak et en Syrie, dans laquelle les États-Unis souhaiteraient une implication iranienne, mais pas une implication chiite, pour ne pas se mêler d’une guerre de religion entre sunnites et chiites (difficile !) Et, pour s’impliquer davantage, la république islamique demande la levée immédiate des sanctions sur l’armement. Ceci pose un problème aux États-Unis car la levée de cet embargo autoriserait la Russie à honorer un contrat de vente de missiles anti-missiles (S300) signé en 2007 et bloqué par la résolution 1929 de l’ONU. Non seulement l’administration américaine n’est pas prête à faire ce cadeau à la Russie de Poutine, et qui entraînerait, de facto, une vive réaction d’Israël…
Au-delà de ce contrat, déjà signé, c’est du retour global des américains dans l’économie iranienne dont il s’agit, et d’une compétition avec Russes, Européens et Chinois.
La question pouvant d’ailleurs être posée différemment : EUROPE ou ÉTATS-UNIS
A titre d’exemple, la levée de l’embargo autoriserait les compagnies aériennes iraniennes à renouveler leur flotte d’avions (marché estimé à 200 avions gros porteurs sur les dix ans à venir).
Qui d’AIRBUS ou de BOEING l’emporterait ?
Pour le secteur automobile : Peugeot (40% du marché iranien en 2011,soit 400. 000 véhicules par an), en proie à des difficultés financières, a été obligé d’ accepter les conditions «à prendre ou à laisser» de General Motors en février 2012 : participation à hauteur de 7% au capital de Peugeot, contre retrait total de la firme au «Lion» du marché iranien… Quelques mois plus tard, GM revendait sa participation (sans avoir investi 1 dollar) au chinois DONGFEN. Dans la foulée, Barak OBAMA annonçait la levée, pour 6 mois, de l’embargo américain sur les automobiles. Irankhodro, (le partenaire iranien de Peugeot) ne recevant plus de «kits» pour le montage de ses 206 et 405, voyait arriver à point nommé General Motors. Voilà comment des «Chevrolet» toutes neuves roulent aujourd’hui en Iran…
On pourrait citer d’autres exemples démontrant que le front des 5+1 n’est pas monolithique et que l’on peut faire confiance aux Iraniens pour faire passer des messages contradictoires, dans le cadre de leurs échanges bilatéraux. Et cette lutte d’intérêts futurs entre partenaires négociateurs explique la position très dure portée par Laurent Fabius au nom de la France.
Considérée comme position «extrémiste» par les Iraniens (qui sous-entendent qu’au prétexte du combat contre la prolifération nucléaire, en défendant leur point de vue,nous chercherions à faire plaisir au pétromonarchies arabes sunnites du Golfe Persique ).
Selon eux (les iraniens), Daech détruit des cités archéologiques antiques irakiennes et syriennes, comme l’Arabie Saoudite le fait dans sa campagne de bombardement au Yémen (la destruction de la vielle ville de Sanaa, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco a anéanti des siècles d’art).
En quittant Vienne, mardi 7 juillet au soir, Laurent Fabius déclarait : «La négociation sur le nucléaire iranien, comme prévu, n’est pas facile, il y a des périodes de tension ».
A moins d’être étranger aux affaires, une négociation est toujours difficile et la question que l’on est en droit de se poser aujourd’hui est la suivante
Doit-on se priver d’un accord sur le nucléaire iranien, pour ne pas agacer un peu plus Israël et les pétromonarchies sunnites du Golfe déjà remontés contre les menées chiites au Proche-Orient et inquiets d’un accord sur le nucléaire renforçant l’influence de la république islamique ?
Positive ou négative, la conclusion de la négociation de Vienne, apportera la réponse à cette question…
Jean-Yves TRÉGUER
Président du MODEM 56