Édito du 13 avril 2015.
BIPARTISME, TRIPARTISME, OU MULTIPARTISME
Depuis plusieurs mois, et notamment depuis les Européennes, le Front National est devenu le premier parti de France en voix, mais il reste confidentiel au niveau des élus nationaux. Seuls deux députés et deux sénateurs sont de l’extrême droite.
A l’élection Européenne, avec un scrutin de liste à la proportionnelle, il était en tête avec 24,86% des suffrages et 24 élus sur 74. Au premier tour de l’élection Départementale de dimanche dernier, il a obtenu plus de 5 millions de voix, en nette progression. A l’issue du second tour, il obtient 62 élus contre 2 auparavant. Mais, il ne gagne que 31 cantons sur 2054 soit 1,5%. Il faut rappeler qu’au 1er tour, il avait eu 25,7% des suffrages contre 33,3% pour l’union UMP-UDI-MoDem , 25% pour le PS (seul 20,3% ou en binôme 1,3% avec les communistes, 3% avec les verts, 0,4% en alliance avec les verts et les communistes). Le Front de gauche a eu 5,5% et les verts 1,9%. Le FN était en tête dans 43 des 98 départements, soit dans 44% des départements. Cette sous représentativité au niveau des élus le fait apparaître comme une victime du système et augmente les voix de ceux qui ne veulent plus de ce système.
Nous sommes donc dans le tripartisme au niveau des voix, mais encore dans le bipartisme au niveau des élus.
Bruno Cautrès, chercheur CNRS au CEVIFOP et professeur à Sciences-Po explique dans «La Croix» que le tripartisme est en train de s’installer dans la durée. Il analyse ainsi ce phénomène : «Pour moi, ce sont les questions de l’Europe d’une part, de la mondialisation d’autre part, qui ont favorisé l’émergence du tripartisme, une partie des électeurs exprimant dans les urnes leurs inquiétudes par rapport à cette double évolution.
Le FN a émergé dans les années 1990, quand l’électorat a commencé à être travaillé par les doutes sur ces questions, doutes que n’ont pas su lever les partis traditionnels. D’abord en 1995, on a commencé à observer une sorte de schisme sur ces questions à l’intérieur de l’électorat de droite, dans la foulée de la ratification du traité de Maastricht.… Depuis le vote sur le traité constitutionnel européen de 2005, la gauche exprime aussi de fortes réticences par rapport à l’orientation sociale- sociale-démocrate du PS.
Marine Le Pen a surfé sur ces doutes en développant une sorte de «Welfare State» chauvin, qui défend l’État providence, mais en le réservant aux Français». Il confirme aussi cet écart entre le nombre de voix et le nombre d’élus du FN : «On a effectivement un tripartisme dans les résultats électoraux, mais pas dans l’exercice des responsabilités. Le mode de scrutin et la logique du report de votes favorisent encore nettement les deux principaux partis…Ce qui est sûr, c’est que la distorsion entre ce qu’expriment un quart des électeurs et la traduction dans l’exercice du pouvoir, ne peut que susciter des interrogations».
Ce même phénomène est observé au Royaume-Uni. Tristan de Bourbon l’explique dans «La Croix» : «Le règne sans partage du parti conservateur et travailliste a pris fin. Ils rassemblaient 97% des voix en 1951 et seulement 65% en 2010. Comme il y a 5 ans, il est donc fort probable qu’aucun n’obtiendra la majorité lors des élections du 7 mai… Le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), d’extrême droite, deviendra la troisième formation politique en termes de voix. Face aux défis de la mondialisation, la réponse la plus évidente est celle de l’UKIP, qui lie opposition à l’Union européenne et immigration, une similitude forte avec le Front National. Outil de stabilité politique, le système électoral uninominal à un tour favorise indéniablement le bipartisme à la Chambre des communes». Si le système électoral pour les départementales avait été ce scrutin uninominal à un tour, le FN qui est arrivé en tête dans de très nombreux cantons ferait jeu égal en nombre d’élus avec les autres partis.
Le deuxième tour est toujours l’occasion de reports de voix. La gauche, qui a perdu en raison notamment de sa désunion au premier tour, a reporté massivement ses voix sur le candidat de droite et du centre au 2e tour, dans les duels avec le FN. Il en a été de même pour les centristes de l’UDI et du Modem. Nicolas Sarkozy, lui, avait prôné le ni-ni, considérant qu’un candidat socialiste était aussi dangereux qu’un candidat de l’extrême droite
Alain Juppé et quelques autres ténors UMP avaient eu le courage et la sagesse d’appeler au vote républicain. Ces élections montrent plus un très fort rejet de la gauche qu’une adhésion massive à la droite et au centre. Le seul vrai gagnant est le parti des abstentionnistes qui recueille 50%. C’est bien la traduction de la fin du bipartisme chez les électeurs, mais pas encore chez les votants. Là encore, l’opinion est en avance sur la classe politique. Ces élections sont suivies avec attention à l’étranger. Dans «Courrier International» on peut lire les analyses de nombreux journaux qui convergent dans cette analyse de l’essoufflement des partis traditionnels et de l’arrivée du tripartisme. Dans le journal italien «Corriere della Sera» on peut lire : «Les systèmes électoraux, anciens ou réformés, réussiront peut-être à endiguer la fin du bipartisme et les risques d’ingouvernabilité. Mais les populismes, qui dérivent pourtant de cultures et d’idéologies radicalement opposées, semblent converger. Leur registre politique exalte des réactions émotives qu’on ne peut plus balayer comme de simples préjugés. Leur récit social, conforté par des essais et des romans à succès –comme ceux d’Eric Zemmour ou de Michel Houellebecq- entérine la défaite du politiquement correct. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les classes les plus fragiles et les classes moyennes appauvries paient au prix fort les politiques financières des dernières années, l’immigration effrénée, l’insécurité…
Dans ce contexte, la France – depuis qu’elle a rejeté le traité constitutionnel européen- est devenue le laboratoire le plus intéressant et le plus dramatique des tendances qui tourmentent le Vieux Continent».
Pour moi, il y a eu deux erreurs fondamentales.
A gauche, il y a eu cette obsession du consensus, incarnée par François Hollande, qui a neutralisé toute réflexion en profondeur et entraîné une inertie incroyable. La gauche est plurielle et le restera. Il faut avoir le courage de sa politique. Le refus de François Hollande de s’ouvrir vers le centre fût une erreur fondamentale.
A droite, il y a eu l’obsession du parti unique dominé par les Chiraquiens, puis les Sarkozistes. Pour mieux faire taire le bon sens et le courage des centristes, ils ont créé l’UMP, au lieu de maintenir les deux courants distincts du RPR à droite et de l’UDF au centre. Au lieu de faire surgir des idées et des réformes, on a voulu utiliser le pouvoir à des fins partisanes. En refusant de nommer Jean-Louis Borloo à Matignon en milieu de mandat, Nicolas Sarkozy s’est «droitisé» pour courir après les idées du FN. Comme François Hollande, il a rejeté et humilié le centre pour mieux dominer les militants UMP. Ces deux erreurs n’ont pas servi le bipartisme, mais ont amené au tripartisme.
Si le choix du multipartisme avec des coalitions gouvernementales fortes avait été fait, les grandes réformes auraient pu être engagées et l’abstention aurait baissé.
Clairement, pour 2017, il faut souhaiter l’absence de candidature de François Hollande et de Nicolas Sarkozy pour éviter un remake de 2012 et permettre une ouverture vers une coalition de responsables modérés unis autour de l’intérêt général.
Jacques JEANTEUR Militant du Modem 08