ÉDITO DU 27 OCTOBRE 2014.
ARMÉE :
Ce qui ne va plus au royaume de France… Constats, Causes… Solutions.
La «fin de l’Histoire», les dividendes de la paix, affirmations péremptoires proférées au lendemain de la chute du Mur de Berlin, ont fait long feu. Avec une remarquable constance, les livres blancs élaborés en 1994, 2008 et 2014 en prennent acte en décrivant un monde de plus en plus dangereux et instable. Dans le même temps, les moyens alloués aux forces armées n’ont cessé de chuter au cours de cette période.
On en est arrivé aujourd’hui à des pertes capacitaires et à des formats de force qui ne leur permettent plus de faire face à toutes les menaces identifiées par le dernier livre blanc. La solution envisagée par certains consiste à combler ces lacunes capacitaires et la faiblesse des moyens par une défense européenne ; elle est illusoire pour l’instant. En effet, elle réclamerait des délais prohibitifs pour faire face à des menaces bien réelles, dès à présent.
Le constat est alarmant. Les causes en sont diverses, les solutions urgentes et énergiques
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1994 |
2014 |
Tendance |
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% P.I.B. consacré à la défense |
2,44 % |
1,5 % |
↓ |
Forces terrestres projetées dans le cadre d’un engagement majeur | 120 000 hommes (= 2 à 3 divisions)
Conscription Réserves abondantes |
15 000 hommes, ( env. 2 brigades)ProfessionnelsPlus de réserves |
↓ |
Forces navales projetées dans le cadre d’un engagement majeur |
1 groupe aéronaval de 65/70 bâtiments dont 50 de combat |
½ groupe aéronaval |
↓ |
Forces aériennes projetées dans le cadre d’un engagement majeur |
20 escadrons de combat 100 avions de transport tactique |
45 avions |
↓ |
Menace
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Continuité, voire aggravation |
↑ |
L’acharnement de l’État à réduire les coûts de la défense a conduit en outre à des lacunes capacitaires, qui s’expriment notamment dans le renseignement, le transport aérien stratégique et tactique, le ravitaillement en vol et la protection des unités terrestres. D’autres capacités sont d’ores et déjà menacées par des matériels majeurs âgés de plus de 40 ans, ainsi que la préparation opérationnelle des unités et la maintenance des matériels.
Si la faiblesse du format des forces projetables ne permet déjà plus de faire face aux scénarios de menaces prévus par le livre blanc, il ne permet plus non plus de constituer autre chose qu’un simple renfort des forces de sécurité en cas d’intervention sur le territoire national. La défense opérationnelle du territoire n’est en effet plus possible, avec les 10 000 hommes qui lui seraient dévolus.
En outre, il y a une incapacité notoire à réagir à la surprise stratégique et à remonter en puissance. En effet, la situation actuelle des armées, notamment l’insuffisance de l’encadrement et l’organisation inadaptée des soutiens, l’absence de réserves et les insuffisances de l’industrie de défense ne peuvent être surmontées avant des années, incompatibles avec la notion de surprise.
Enfin, le postulat imposé par l’appareil d’État à la défense dans le domaine du soutien, selon lequel les trois armées ont un soutien identique en garnison et en opérations, est une absurdité notoire. L’opération au Mali n’a été rendue possible que par la mobilisation de la quasi-totalité de la chaîne logistique, placée dans des conditions d’exécution exécrables. Ainsi, au-delà de la mutualisation, on a «inter-armisé» (sic), «civilianisé» (sic) et même «externalisé» (sic), c’est-à-dire confié à des entreprises des pans entiers du soutien, sans études préalables de faisabilité et en dépit de l’évaporation immédiate et recherchée des personnels militaires compétents et des structures antérieures, dont l’efficacité n’était plus à démontrer.
Pendant ce temps, l’Europe de la défense avance… à petits pas. À l’instar des autres piliers européens, elle répond de manière prioritaire à la question comment, en évitant soigneusement de se poser les questions quoi et pourquoi. En conséquence, des intérêts nationaux de politique étrangère encore trop divergents paralysent les quelques outils mis en place et les réduisent au plus petit dénominateur commun. La France n’hésite d’ailleurs pas à vider la brigade franco-allemande d’une partie de sa substance en dissolvant sans états d’âme le 110ème RI*, pour raisons budgétaires, bien entendu.
2. Les causes .
Les premières causes résident dans une avalanche de réformes structurelles subies depuis 2008, sans autre fil conducteur que le diktat de l’économie. Or, les ponctions continuelles sur le budget de la défense, si elles remettent en cause la cohérence de l’outil, n’ont qu’un effet dérisoire sur la dette, à l’échelle des déficits publics.
Ainsi, non seulement les crédits alloués à la défense baissent régulièrement, mais les lois de programmation militaire ne sont jamais exécutées en totalité, dès les premières années de leur validité. Montrée comme un ministère dépensier, la défense ne représente d’ailleurs que 3,2 % de la dépense publique, loin derrière les 10,8 % de l’enseignement, les 11,5 % des services généraux des administrations publiques ou les 57,3 % des fonctions protection sociale et santé.
Est également à remettre en cause l’absence de prospective à long terme, qui pose la question de savoir qu’est-ce qu’on défend, pourquoi et avec quoi. Autant l’analyse des menaces est lucide, autant on observe, dès 2008 et a fortiori en 2014, un décalage croissant entre ces menaces et les moyens mis en place pour y faire face. Ce sont uniquement les finances qui dimensionnent les forces et les contrats opérationnels qui leur sont demandés.
Face à ces «oukases» d’une technostructure administrative dont les militaires ont été récemment exclus, la classe politique plie, par intérêt, complicité, méconnaissance ou indifférence. Disqualifiée dans sa fonction de conseillère du politique, déconsidérée par une désinformation ourdie au sein même de l’appareil d’État et relayée par les médias, la hiérarchie militaire n’a plus son mot à dire dans la conception même du système de défense, reléguée qu’elle est à la seule conduite des opérations tactiques. Son expertise, pourtant riche d’expériences acquises sur des théâtres d’opérations extérieurs, est ainsi négligée. Prise au piège de la discipline et de la loyauté au politique, la hiérarchie militaire prend ainsi le risque d’une perte de confiance de la base, dont les effets seraient très préjudiciables au fonctionnement global du système de défense.
3 – Les solutions
Quelles que soient les solutions techniques, la potion à administrer au malade requiert en tout premier lieu un consensus et une volonté politique sans failles, dans la durée. Elle demande aussi que l’on donne du sens au système de défense, en lui fixant des références stables et un état final à atteindre clair et bien défini. Dans ce cadre, il importe dans un premier temps de remettre les responsables politiques face à leurs responsabilités. Cela signifie tout d’abord que la politique prenne le pas sur le tout économique que nous connaissons aujourd’hui. À cet égard, un seuil de 2,5 % du PIB est recommandé, pour maintenir le format minimum compatible avec les contrats opérationnels qu’exige la position de la France dans le monde. Une véritable prospective en matière de défense s’impose d’ailleurs pour définir ces éléments fondamentaux.
Il convient ensuite de restaurer la spécificité de l’institution militaire en cessant de lui appliquer de manière inconsidérée des modèles de gestion anglo-saxons inspirés du monde civil. D’expérience, cela ne marche pas. Une formation militaire n’est pas une entreprise.
Remettre les responsables militaires à leur place dans l’appareil d’État, telle que la définissait le décret de 2005, fait également partie du traitement.
En outre, de nouveaux équilibres, éventuellement générateurs de marges budgétaires, doivent être recherchés. Toucher au tabou du nucléaire pour rééquilibrer le nucléaire et le conventionnel ouvrirait des pistes nouvelles : qui dissuader, avec quels moyens ? Doit-on toujours disposer de la panoplie actuelle ? Le décalage croissant entre nucléaire et conventionnel ne risque-t-il pas, à terme de disqualifier l’ensemble, en condamnant le politique au dilemme du tout ou rien ? Rétablir l’équilibre du soutien est également une priorité, en limitant au raisonnable tout ce qui touche à «l’externalisation» (sic) et en rétablissant l’unité du commandement avec des bases de défense homogènes par armées.
Par ailleurs, toute réflexion future de l’avenir de notre défense devra inclure une politique cohérente en matière de cyber-défense.
Enfin, la recherche d’un degré d’intégration toujours plus poussé de la défense européenne ne peut, à long terme, qu’apporter de bénéfiques effets d’échelle, comme c’est déjà le cas, par exemple, pour la mutualisation du transport aérien. Pour autant, il ne faut pas se leurrer dans ce domaine : sans convergence des politiques étrangères, au moins au sein d’un groupe d’États pilotes, les progrès ne seront que très lents et relativement limités.
La défense de la France est malade, même si les récentes opérations, au Mali ou en Centre Afrique, donnent l’illusion du contraire.
Une prise de conscience et un effort résolu dans la durée sont nécessaires de la part des autorités politiques du pays, dans un domaine régalien par excellence.
Jacques ISNARD
*110ème RI, héritier du régiment de Barrois, créé en 1692 a été de toutes les batailles. Qui «s’y frotte s’y pique », sa devise illustre ce régiment d’infanterie qui fut un élément majeur de la brigade franco-allemande.
Pour aller plus loin :
http://www.flickr.com//photos/theatrum-belli/sets/72157632507552964/show/
http://www.flickr.com/photos/theatrum-belli/sets/72157632507552964/show/