LA LOI E.S.R. : Enseignement Supérieur et Recherche (suite)
La loi ESR (Enseignement Supérieur et Recherche) a été adoptée par l’assemblée nationale le 21 mai et examinée par le sénat du 21 au 28 juin. Celui-ci a voté un amendement proposé par une sénatrice EELV pour supprimer la procédure de qualification par le Conseil National des Universités (CNU). Pour le dire rapidement, celle-ci consiste à évaluer les titres et travaux de recherche des candidats à des postes d’enseignants-chercheurs et de vérifier que leur dossier correspond bien à la discipline (scientifique, littéraire, juridique,…) dans laquelle ils demandent une qualification qui leur permettra ensuite d’être candidats aux postes de maîtres de conférences ou de professeurs mis au concours partout en France. Cette proposition a soulevé un tel tollé des instances scientifiques et des enseignants chercheurs que deux jours et une pétition de 16000 signataires plus tard, cet amendement a été supprimé en commission paritaire assemblé nationale – sénat. Un épisode qui relève d’un certain amateurisme et qui mériterait un article à lui tout seul.
Nous reprenons ici la suite de notre article précédent sur les chapitres recherche, gouvernance de l’université et décloisonnement.
Loi ESR : la recherche
La loi vise, comme pour l’enseignement, à réaffirmer le rôle stratégique de l’Etat dans les grandes orientations de la recherche et à en simplifier l’organisation :
1) Définir un agenda stratégique de la recherche, harmonisé avec le programme européen Horizon 2020, définissant les grandes priorités de la recherche française (article 11)
2) Mettre en place un conseil stratégique de la recherche pour définir cette stratégie (article 54).
La loi remplace trois instances : Haut conseil de la science et de la technologie (HCST), Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT) et le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), par deux : le Conseil stratégique de la recherche et le CNESER
3) Remplacer l’AERES (agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) par une nouvelle autorité d’évaluation administrative indépendante, le haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (articles 48 à 52)
4) Faciliter la mise en œuvre de l’agenda de la recherche et préserver la recherche fondamentale, en simplifiant le paysage de la recherche française, ses modalités de financement et d’évaluation (articles 40 et 41)
Ces dernières années, l’organisation de la recherche s’est constituée, à l’instar de l’enseignement, en un maquis constitué de PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur), d’IDEX (initiatives d’excellence), LABEX (laboratoires d’excellence), EQUIPEX (équipements d’excellence)… La nouvelle loi affiche l’objectif de simplifier le paysage de la recherche. Mais les détracteurs de la loi, y compris ceux proches du PS (collectif Langevin), disent que l’on ne fait qu’ajouter à la complexité. Les PRES sont effectivement supprimés mais on crée une trentaine de « Communautés d’universités » qui ne doivent laisser aucune université de côté et qui peuvent aussi accueillir des écoles privées. En Bretagne, le PRES actuel est « l’Université Européenne de Bretagne » (www.ueb.eu/Theme/presentation) qui regroupe les quatre universités bretonnes, cinq écoles d’ingénieurs et 19 membres associés.
A priori on peut imaginer que la tentation sera grande de capitaliser le travail de constitution des PRES en les transformant en Communautés d’universités au prix d’un peu de « cosmétique » car on entend déjà des plaintes des universités qui ont dépensé beaucoup d’énergie pour construire ces PRES. Au final quid de la simplification ?
5) Inscrire dans la loi le transfert comme une des missions de service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, afin de développer le transfert des résultats de la recherche et créer des emplois durables et à forte valeur ajoutée (articles 5, 7, 10, 55 et 65).
La volonté est louable, ajouter aux missions des enseignants-chercheurs celle du transfert de technologie pose des questions sur la façon de prendre en compte cette activité dans la carrière. Jusqu’ici le quasi seul critère d’évolution de carrière pour un enseignant-chercheur est la recherche, les actions de transfert sont considérées comme moins « nobles » et moins valorisées, l’investissement dans l’enseignement est lui aussi fort peu valorisé, et les implications administratives ou para pédagogiques (direction de filière, direction des études, responsable des stages,…) dans la vie de l’établissement et au service des étudiants encore moins. La question de la redéfinition des tâches pose une nouvelle fois celle de la prise en compte de la totalité des activités des enseignants – chercheurs. Ce qui a été toujours plutôt mal fait jusqu’ici.
Loi ESR : la gouvernance des universités et le décloisonnement
1) Développer la coopération entre tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche d’un même territoire en les regroupant dans des ensembles coordonnant l’offre de formation et la stratégie de recherche (article 38).
Le regroupement proposé de toutes les composantes d’une académie (ou inter-académies) a un aspect novateur. Il reste à voir comment cela peut vivre dans les faits.
2) Rendre la gouvernance des universités plus démocratique en dotant un Conseil académique de compétences propres sur les questions de recherche et de formation et en recentrant le conseil d’administration sur son rôle stratégique (articles 37 et 38)
Le conseil académique sera composé de deux commissions élues : la commission de la formation et de la vie étudiante (ancien CEVU) et de la commission de la recherche (ancien conseil scientifique). Le conseil académique sera donc le responsable de l’enseignement et de la recherche. Les charges de travail du CEVU et du Conseil scientifique actuels sont telles que l’on peut penser que ce Conseil académique travaillera la plupart du temps en commissions et que dans ce cas, la réforme ne changera pas grand-chose. Le conseil d’administration est lui recentré sur le pilotage de l’établissement. Cette mesure est censée répondre à la demande de « plus de collégialité » formulée à la suite de la loi LRU. Une procédure d’empêchement du président, dont les pouvoirs sont devenus disproportionnés, est instituée par la démission des 2/3 du conseil d’administration. Tout cela sera-t-il suffisant pour répondre complètement aux attentes ?
3) Ouvrir les universités sur le monde socio-économique en confortant le rôle des personnalités extérieures (articles 25 et 26). La loi prévoit la nomination de personnalités extérieures préalablement à l’élection de président de l’université selon des modalités transparentes. Cela peut contribuer à l’indépendance de ces personnalités vis-à-vis du président et à une meilleure collégialité au sein du conseil d’administration.
4) Agir pour l’égalité entre les femmes et les hommes en inscrivant dans la loi la parité pour les élections aux différents conseils (articles 13,37, 50 et 53)
On ne peut être que d’accord sur le principe. Dans les faits il y a parfois selon les spécialités de grandes disproportions entre les nombres éligibles d’hommes et de femmes et dans ce cas la stricte parité est difficilement atteignable. Il peut exister des dérogations dont l’ampleur est limitée par des textes, sera-ce le cas ?
En conclusion
Il y a des points positifs dans cette loi comme tout ce qui peut contribuer à améliorer l’information et l’orientation des lycéens, ainsi l’organisation d’un continuum lycée – enseignement supérieur. Il y a de bonnes intentions visant à la simplification du paysage, que ce soit pour l’enseignement ou la recherche, mais qui peuvent laisser sceptiques quant à leur application. Globalement, il semble à beaucoup que cette loi est en retrait par rapport aux critiques du PS quand il était dans l’opposition, ce qui explique sans doute la relative indifférence qu’elle aurait continué à susciter sans l’épisode de la qualification au sénat. La question de fond est que l’autonomie des universités promulguée par la loi LRU précédente a et aura pour conséquences l’inégalités des moyens sur le territoire national et que les sous dotations budgétaires créent un terrain favorable à certains clientélismes. Il faut en effet savoir que certaines universités gèlent actuellement des créations de postes d’enseignants-chercheurs pour que la masse salariale dégagée permette de boucler le budget. Ainsi plus rien n’assure que des diplômes aux programmes pourtant définis nationalement auront des contenus identiques, puisque dépendant de leurs moyens financiers. Ce qui est bien sûr antinomique avec la volonté affichée d’améliorer la lisibilité des diplômes pour les jeunes et leurs familles. D’une certaine façon, l’autonomie crée de la dépendance.
Jean-François PETIOT