L’Union Européenne lève l’embargo sur les armes à destination des rebelles syriens
L’Union Européenne lève l’embargo sur les armes
à destination des rebelles syriens
Bonne ou mauvaise option?
Les ministres des affaires étrangères européens viennent de lever l’embargo sur les livraisons d’armes à la rébellion syrienne. Très divisés sur la question, compte tenu de la radicalisation de certains groupes de rebelles, l’Union européenne était contrainte de trouver un accord avant le 31 mai. Faute duquel, l’ensemble des sanctions tombaient, y compris celles qui visent le régime de Bachar El Assad.
Mais surtout, une absence de consensus aurait donné une image catastrophique de la politique étrangère de l’Union européenne. Image déjà bien mal en point et minée par le « sacro-saint » vote à l’unanimité, qui fait que toute décision découle du « plus petit dénominateur commun » !
Et encore, Aucune arme ne devrait ainsi être livrée d’ici au 1er août, date avant laquelle les ministres ont prévu de « réexaminer » leur position. Ce délai, bien « calibré », devrait permettre aux ministres des affaires étrangères
européens de dresser un premier bilan de la conférence internationale « Genève-2″ » prévue en juin, à l’initiative des États-Unis et de la Russie.
Rappelons, pour mémoire, qu’au sein de l’Union européenne, seules la France et la Grande-Bretagne, réclament la possibilité de fournir des armes aux forces de l’opposition Syrienne, dite modérée. Encore faudrait-il définir cette « opposition modérée ».
En Syrie, il n’y a pas « une » mais des « oppositions », inhérentes aux conflits inter-régionaux et inter-religieux.
La Syrie est la jumelle de l’Irak : un État artificiel, né des accords Sykes-Picot en 1916 sur le démantèlement de l’Empire Ottoman, et dont les frontières ont été tracées par des puissances impériales. Comme en Irak, les communautés qui la constituent n’ont jamais demandé à vivre ensemble. Comme l’Irak, la Syrie a été gouvernée, durant l’essentiel de son histoire moderne, soit par une puissance coloniale, soit par un autocrate.
En Irak, les Américains et leurs alliés espéraient qu’une fois éliminé le dictateur impitoyable, le pays connaîtrait une transition stable vers une démocratie multiconfessionnelle et « pluripartite ». En Syrie, au début du conflit, c’est le même espoir qui prévalait : on élimine un dictateur et le pays connaîtra une démocratie multiconfessionnelle et « pluripartite ». Le même espoir fut mis en avant en Égypte, où aujourd’hui les Frères Musulmans ont un comportement et des positions qui ressemblent, à s’y méprendre, à celles qu’avait Moubarak. Les mêmes raisons furent mises en avant pour intervenir en Lybie, avec le résultat que l’on connaît.
C’était sans compter avec les conflits inter-religieux et inter-régionaux.
Conflits inter-religieux, parce que l’Irak, majoritairement de confession musulmane Chiite fut sous la coupe d’un dictateur et d’une minorité, de confession musulmane Sunnite.
Conflit inter-religieux, parce que la Syrie, majoritairement de confession musulmane Sunnite est sous la coupe d’un dictateur et d’une minorité de confession Chiite (les Alaouites, branche du Chiisme).
Conflits inter-régionaux qui opposent l’Iran, Chiite, et les pétro-monarchies du Golfe (Arabie, Qatar, Emirats), Sunnites, pour une question de suprématie religieuse et régionale. Suprématie régionale que revendique aussi Israël pour son existence.
En Syrie, tout comme il n’y a pas « une » mais des « oppositions », il n’y a pas « un » mais « des conflits ».
Conflit interne, objet d’une guerre civile entre pro- et anti-régime. Conflit interne au sein des anti-régime, entre partisans d’une vision « islamique » du futur régime Syrien et opposants anti-islamistes.
Conflit externe avec l’intervention officielle du Hezbollah Libanais et officieuse de la brigade Al-Qods Iranienne, qui défendent l’arc Chiite, qui permet à l’Iran de soutenir militairement le Hezbollah, via la Syrie, pour maintenir une pression sur Israël. Et d’évidence, Israël verrait plus volontiers une Syrie et un Bachar El Assad affaiblis qu’un régime islamique puissant, à sa frontière du Golan…
Conflit externe avec l’intervention indirecte mais financièrement et militairement, efficace des « pétromonarchies ».
Conflit à « fleuret moucheté » entre les États-Unis et la Russie, dont le port de Tartous en Syrie, reste l’unique base navale russe en Méditerranée. Raison pour laquelle la Russie a tout intérêt a faire « durer » le régime actuel dans l’attente d’un essoufflement de la rébellion, et d’une partition de la Syrie qui lui permettrait de préserver ses intérêts géopolitiques.
Alors, dans ce magma, la décision que vient de prendre l’Union européenne est-elle une bonne ou une mauvaise option?
Difficile à dire. Il est plus que vraisemblable que de l’armement européen, via les « pétromonarchies », approvisionne déjà la rébellion. Mais ce n’est pas ce type d’armes qu’elle réclame, ce qu’elle souhaite c’est pouvoir faire échec à l’aviation du régime et que lui soit fourni des missiles sol-air. Vaste débat, qui pose le délicat problème de la traçabilité de telles armes, pour éviter qu’elles ne tombent entre de « mauvaises mains » ?
En attendant, il faut redoubler d’efforts sur le plan diplomatique, attendre le résultat de la conférence « Genève 2 » et favoriser le développement d’une direction plus crédible à la tête de l’opposition au régime de Bachar El Assad. Une direction composée de Syriens ouverts à la réconciliation et capables d’assurer à toutes les communautés qu’elles auront une place appropriée dans un nouveau gouvernement. Il ne faut pas sous-estimer le nombre de Syriens, dont les chrétiens, qui restent fidèles au régime tyrannique de Bachar El-Assad, par peur qu’un régime islamiste ne lui succède.
Quand les combattants, pro et anti régime, admettront qu’il ne peut y avoir ni vainqueur, ni vaincu, ce que les Libanais ont mis quatorze ans de guerre civile à comprendre, la diplomatie sera à même de jouer son rôle et de trouver un plan de partage équitable du pouvoir.