Édito du 6 mars 2017
François Bayrou :
FAIRE DE LA POLITIQUE AUTREMENT…
CHICHE !
LA PROPOSITION D’ALLIANCE À EMMANUEL MACRON
J’ai examiné depuis plusieurs semaines tous les éléments de l’état de notre pays.
Je veux vous dire la gravité de la situation. Jamais, dans les cinquante dernières années, la démocratie en France n’a connu une situation aussi décomposée.
Le bilan du gouvernement sortant est tel aux yeux des Français que les primaires de la gauche ont choisi comme candidat un opposant déterminé à la politique suivie depuis le début du quinquennat. Cela veut tout dire : le parti du président et du gouvernement sera représenté par un opposant !
À droite, le dévoilement des affaires révèle non seulement l’existence de privilèges et de dérives, mais ce qui est plus choquant encore l’acceptation tacite et presque unanime de ces abus. Toujours davantage de privilèges pour ceux qui sont en haut, toujours davantage d’efforts exigés de ceux qui sont en bas : cette situation pose d’immenses problèmes moraux, d’immenses problèmes pour l’unité du pays, mais aussi d’immenses problèmes électoraux. Un argument utilisé me choque particulièrement : ils disent «tout le monde fait ça !». Je veux dire ici que ce n’est pas vrai, et c’est une accusation infamante pour l’immense majorité des élus français.
En fait toutes les candidatures posent des questions auxquelles les Français ne trouvent pas de réponse, au point que la majorité d’entre eux aujourd’hui affirme qu’ils ne savent pas pour qui voter. Un peuple qui ne croit plus à sa vie publique est un peuple en danger.
Cette situation nourrit le pire des risques : une flambée de l’extrême-droite, qui fait planer la menace d’un danger majeur et immédiat pour notre pays et pour l’Europe. Car en un seul scrutin, nous pouvons choisir l’échec de notre pays et la déchirure peut-être définitive de l’Union européenne ! C’est-à-dire une double condamnation à l’effacement et des épreuves lourdes pour chacune des familles, pour chacune et chacun d’entre nous.
Dans cette situation, je mesure ma responsabilité personnelle et celle du courant politique dont j’ai la charge. Deux voies s’offrent à moi, étant donné que l’aveuglement où s’est enfermée la droite française m’empêche de réaliser l’accord dont j’avais rêvé avec Alain Juppé et nombre de RépublicainsCes deux voies sont la candidature devant les Français ou la recherche d’une solution inédite
J’ai reçu depuis des semaines de très nombreux messages et témoignages m’encourageant à me présenter pour défendre une vision cohérente de l’avenir du pays, cette résolution française que je viens d’exprimer dans un livre. Ces messages ont du sens, et disent beaucoup pour moi. Je les reçois à leur juste valeur comme une marque de confiance. Et pourquoi le nier, l’attrait de cette bataille correspond à la fois à ma pente et à mon goût.
Mais nous sommes dans une situation d’extrême risque, et à cette situation exceptionnelle, je pense qu’il faut une réponse exceptionnelle, à la hauteur des périls qui menacent notre pays et notre État. Or j’en ai la conviction, la dispersion des propositions et des suffrages ne peut qu’aggraver ces périls.
Parce que le risque est immense, parce que les Français sont désorientés et souvent désespérés, j’ai décidé de faire à Emmanuel Macron une offre d’alliance. Je lui dis : le danger est trop grand, il faut changer les choses, et le faire d’urgence, unissons nos forces pour y parvenir ! C’est peut-être un geste d’abnégation, mais ce sera aussi je le crois un geste d’espoir pour notre pays.
Cette offre d’alliance comporte des exigences, qui sont toutes d’intérêt général :
D’abord, je veux qu’il sache que ce qui est attendu de cette majorité nouvelle, par les Français et par nous-mêmes, le grand courant du centre français, c’est une véritable alternance, un vrai changement des pratiques et des orientations et non pas un recyclage des pratiques antérieures.
Je demande expressément que le programme du candidat comporte en priorité une loi de moralisation de la vie publique, en particulier de lutte contre les conflits d’intérêt.
Je refuse, comme je l’ai refusé toute ma vie que des intérêts privés, de grands intérêts industriels ou financiers, prennent la vie publique en otage. Je ne cèderai rien sur la séparation nécessaire de la politique et de l’argent. C’est l’occasion ou jamais de l’imposer.
Ensuite, je souhaite qu’il soit clair que la France résistera à la pente universelle qui cherche à réduire sans cesse la rémunération du travail, indépendant ou salarié. La France, c’est une vision du monde : une vision de résistance à la loi du plus fort. La politique d’unité qu’il faut conduire fait toute sa place à ceux qui réussissent, mais elle doit protéger et entraîner, et rassurer ceux qui sont maintenus au bas de l’échelle et leur offrir des chances de s’en sortir.
Enfin, il faut un changement pour notre démocratie pour que le pluralisme qui est la véritable expression du pays soit enfin respecté au sein de notre vie publique, et au sein du Parlement. Je n’accepte pas, et des millions de Français avec moi que les deux tiers des citoyens n’aient aucune représentation alors que le tiers restant, les deux partis qui gouvernent la France sans interruption depuis des décennies trustent la totalité de cette représentation.
Voilà la proposition que je fais. Cette alliance peut apporter au pays, et elle peut apporter à ceux qui la forment.
Emmanuel Macron est brillant : ses intuitions et son approche lui ont permis de réaliser une importante percée dans les sondages. Peut-être enfin le projet de dépassement des clivages que j’ai porté depuis quinze ans est-il à portée de la main. Je n’ai pas l’habitude de renier mes rêves et mes objectifs. Je crois que cette alliance peut aider de manière décisive à faire entrer dans la réalité ce qui apparaissait à beaucoup impossible. Si nous y parvenons, nous pouvons faire de grandes choses ensemble, pour un pays qui a besoin de croire à nouveau à quelque chose, à une voie nouvelle que la force des habitudes avait empêché depuis cinquante ans, pour son plus grand malheur. L’enjeu de cette alliance, si elle se crée, c’est de rendre l’espoir aux Français déboussolés.
Je veux y ajouter une note plus personnelle. Je crois que cette alliance peut être aussi une entente, d’homme à homme, de courant à courant.
Nous avons des approches différentes, des expériences politiques différentes, des enracinements différents. La confrontation de ces visions et de ces idées, l’influence de l’une sur l’autre, la conviction des uns partagée avec la conviction des autres, apportera à la campagne électorale et beaucoup aussi à l’aventure humaine qu’une telle campagne suppose et représente.Une majorité, cela se construit à partir d’histoires différentes, de familles politiques différentes, à condition qu’elles soient respectées en elles-mêmes et pour elles-mêmes, avec toute leur identité, toutes leurs armes et tout leur bagage.
Voilà le parti que j’ai pris. J’ai toujours été du côté des rassemblements quand le pays est en difficulté ou en danger. J’ai la conviction qu’il sera impossible après l’élection présidentielle et les élections législatives de gouverner la France sans d’importants efforts de coopération et de travail en commun des grandes forces démocratiques, de la droite républicaine jusqu’à la gauche réformiste. En faisant cette offre d’alliance, c’est cette nécessité du rassemblement que j’ai présente à l’esprit comme un horizon nécessaire pour notre pays.
Je suis heureux de pouvoir montrer autrement que par des mots que l’heure exige que nous dépassions nos nos intérêts personnels et partisans, pour construire l’avenir que la France mérite.
https://mg.mail.yahoo.com/neo/launch?.rand=2tj01nl5shf9g#4183749328
À 12 jours d’intervalle, Alain Juppé faisant le même constat sur la situation et la décomposition politique du pays, lui aussi, fait le sacrifice de sa personne et prend ses responsabilités :
Bordeaux, lundi 6 mars 2017
Mesdames, Messieurs les journalistes, merci d’avoir répondu à mon invitation.
A travers vous, c’est aux Françaises et aux Français que je veux m’adresser, à toutes les Françaises et à tous les Français.
Jamais, sous la Vème République, une élection présidentielle ne s’est présentée dans des conditions aussi confuses.
La gauche, déboussolée par l’échec du quinquennat de François Hollande, s’est fracturée en plusieurs sensibilités irréconciliables. Elle court le risque d’être éliminée dès le premier tout de scrutin. Le Front National, empêtré dans les démêlés judiciaires de Madame Le Pen, en rajoute dans le fanatisme anti-européen qui conduirait notre pays au désastre.
Profitant du discrédit de l’établissement politique, Emmanuel Macron, pourtant inspirateur et acteur de la politique économique de François Hollande, tente d’incarner le renouveau. Mais son immaturité politique et la faiblesse de son projet ne feront pas toujours illusion.
Quant à nous, la droite et le centre, quel gâchis ! Au lendemain de notre primaire, dont le résultat a été incontestable et incontesté, François Fillon à qui j’avais immédiatement et loyalement apporté mon soutien, avait un boulevard devant lui. Je lui ai renouvelé ce soutien à plusieurs reprises.
Le déclenchement des investigations de la justice à son encontre, et son système de défense fondé sur la dénonciation d’un prétendu complot et d’une volonté d’assassinat politique l’ont conduit dans une impasse.
Tout au long de la semaine dernière, j’ai reçu de très nombreux appels me demandant de prendre la relève. Ils m’ont fait hésiter. J’ai réfléchi. A mes yeux, la condition sine qua non du succès, c’est le rassemblement le plus large possible de la droite et du centre. Tel était mon objectif en me présentant à la primaire. Je n’ai pas réussi. Aujourd’hui, ce rassemblement est devenu plus difficile encore. Une partie du centre que certains d’entre nous ont rudement stigmatisé nous a quittés. Comme l’a montré la manifestation d’hier au Trocadéro, le noyau des militants et sympathisants LR s’est radicalisé.
François Fillon n’a cessé d’affirmer sa détermination, encore hier soir. Si les pressions qu’exercent sur lui certains de nos responsables le contraignaient à renoncer, le passage de témoin se ferait dans la douleur et ne manquerait pas de laisser des traces.
Je n’ai pas l’intention de m’engager dans des tractations partisanes ni des marchandages de postes. Pour un gaulliste, ce n’est pas l’esprit de l’élection présidentielle.
Je ne suis donc pas en mesure de réaliser le nécessaire rassemblement autour d’un projet fédérateur. C’est pourquoi je confirme, ce matin et une bonne fois pour toutes, que je ne serai pas candidat à la Présidence de la République.
Je mesure la déception que provoquera cette décision chez beaucoup. Et les reproches qu’elle me vaudra sans doute. Je redis ma reconnaissance, mon amitié à tous ceux qui, depuis des mois voire des années, m’ont accompagné, soutenu, encouragé. Je remercie ceux qui, après avoir vivement critiqué ma ligne et mon projet, trouvent aujourd’hui en moi le recours qu’ils recherchent.
Mais il est trop tard.
J’ajoute deux arguments qui me tiennent à cœur :
-
les Français veulent un profond renouvellement de leurs dirigeants politiques, et à l’évidence, je n’incarne pas ce renouvellement. Cette aspiration de l’opinion me semble plus forte que le besoin de solidité et d’expérience.
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Les récentes péripéties ont encore accrue l’exigence d’exemplarité des Français vis-à-vis de leurs femmes et hommes politiques. Ici encore, je ne peux répondre pleinement à cette exigence même si la justice qui m’a condamné m’a exonéré de tout enrichissement personnel. Je ne veux pas livrer mon honneur et la paix de ma famille en pâture aux démolisseurs de réputation.
Je le répète : pour moi, il est trop tard. Il n’est évidemment pas trop tard pour la France. Il n’est jamais trop tard pour la France. Notre pays est malade. Rétif aux réformes qu’il sait nécessaires, en colère contre ses élites politiques mais sensible aux promesses démagogiques, il vit aujourd’hui une terrible crise de confiance.
Mais il a aussi de formidables capacités de rebond. Ses jeunes, dont une partie est hélas ! en grande souffrance, seront le ferment d’une renaissance française.
Pour ma part, je continuerai à servir mes concitoyens en travaillant avec eux dans notre belle ville de Bordeaux et sa métropole. Je ne me priverai pas d’exprimer mon point de vue sur les grandes questions d’avenir : le relèvement de la France, de son économie, de ses finances publiques, de sa protection sociale ; le combat pour une nouvelle Europe, capable de défendre nos intérêts communs mais aussi de jouer son rôle de messager de paix dans un monde où les nationalismes et les protectionnismes font ressurgir des bruits de guerre ; et aussi la sauvegarde de la planète, la transformation numérique de nos économies, de nos sociétés, de notre humanité.
Voilà quelques-uns des défis que devra relever celui qui portera les couleurs de la droite et du centre dans quelques semaines et, je l’espère, durant le prochain quinquennat.
Vive la République. Et vive la France.
Alain JUPPÉ