Édito du 9 mai 2016.
TTIP : LES VRAIS DANGERS
Tout a commencé en 1957, avec la création du marché commun ! Les Américains craignant qu’un marché intérieur européen unifié et un tarif douanier unique en Europe, limitent considérablement l’accès de leurs produits, avaient lancé une vaste opération de réduction des droits de douane au niveau mondial, appellée le «Kennedy round».
Depuis, d’autres rounds se sont succédés, ayant pour ambition de réduire les obstacles douaniers à la libre circulation des produits. Cela aboutit à la fameuse «mondialisation».
Ils furent négociés de manière multilatérale au sein -dans un premier temps- du GATT (general agreement on tariffs and trade), suivi par l’ «OMC» (Organisation mondiale du commerce).Le dernier -celui de Doha-, a échoué, laissant l’OMC sans perspective dans le domaine des négociations multilatérales. Depuis lors, les projets bilatéraux visant à libéraliser les échanges entre deux pays ou deux zones économiques se sont multipliés. Tels l’accord US-Pacifique (TPP) signé non encore ratifié, UE-Japon, assez mal en point ou encore l’accord UE-Canada, signé et en cours de ratification… et, depuis 2013, le fameux «TTIP» (ou «TAFTA»), entre l’Union Européenne et les USA.
A la différence des grands rounds précédents, l’objectif n’est plus tant la baisse des droits de douane (considérablement diminués entre états de l’OCDE), que l’élimination des barrières non tarifaires.C’est-à-dire, pour parler concrètement, la réduction des règles ou normes techniques qui limitent l’exportation d’un produit
(ceux qui ont essayé par exemple d’importer un véhicule américain en France connaissent la quasi-impossibilité d’obtenir la carte grise du véhicule…) C’est l’enjeu général de ces accords, et celui de la TTIP en particulier.
Évidemment cela mène à faire entrer des produits (ou des services) que nous n’acceptons pas en Europe actuellement (et réciproquement pour les USA)…Quatre secteurs significatifs inquiètent
Les produits alimentaires : Sujet sensible, dont on comprend l’enjeu tant il touche une préoccupation des Européens, tant au plan sanitaire (poulets nettoyés au chlore aux USA, bovins aux hormones…) soit en terme de qualité ou d’indication d’origine : que nos amis américains ont du mal à comprendre (pour eux, le camembert, c’est du camembert, pourquoi faudrait-il préciser obligatoirement qu’il vient de Normandie ?)
Les marchés publics : les USA n’apprécient pas du tout que l’UE demande une ouverture plus large, remettant en cause la «buy american act» voté en 1933, qui protège les entreprises américaines dans l’attribution des marchés publics américains.
Les biens culturels : les USA ne comprennent pas le concept de «l’exception culturelle européenne» qui épargne ce secteur des règles classiques de marché.
Les services financiers : les USA se refusent à intégrer au TTIP les règles de surveillance financière et de régulation voulues par l’UE .
Dernier point chaud . le règlement des différends commerciaux ou d’investissement La procédure d’arbitrage prévue s’imposera aux deux parties, sans recours possible aux juridictions nationales, jugées, coté USA, trop peu impartiales en matière de litiges commerciaux.
Cela peut avoir pour conséquence que ce juge arbitral déclare «non applicable» une loi votée par l’UE, telle, par exemple une nouvelle loi de protection sanitaire…
Les discussions durent depuis 2013 et sont loin d’avoir progressé. Depuis, presse et acteurs politiques font monter la pression pour dénoncer tel ou tel point du projet d’accord, jugé inacceptable. Il est vrai que la confidentialité qui entoure ces négociations ne fait qu’alimenter les peurs !
Soyons clairs il n’y a aucune chance pour que les négociations aboutissent d’ici la fin du mandat de Barack Obama et l’avenir de ce Traité, au-delà de cette échéance, est des plus incertains…
Certaines leçons doivent être tirées de cet épisode …
Les Américains, plus que coriaces dans ces négociations, ne lâchent rien, alors que, côté européen, la Commission européenne chargée de défendre les intérêts de l’UE, a trop tendance à faire des concessions.
Il est essentiel que les responsables politiques (au Conseil, comme au Parlement européen) suivent de manière beaucoup plus musclée les négociations. Face à la délégation US qui a le soutien de son Président, la Commission Européenne n’incarne pas assez la volonté des dirigeants européens, et eux-mêmes, n’exercent pas assez de pression sur ladite Commission.
Ceci est très important pour que les citoyens européens accordent leur confiance aux Institutions européennes chargées de protéger leurs intérêts. La confidentialité des négociations a des limites. Il est impératif que les peuples européens sachent précisément que sur tel ou tel sujet, on tient fermement tête aux Américains.
Autre leçon : les anti-européens se nourrissent de ces négociations en catimini pour remettre en cause l’idée européenne. Peu leur importe le contenu, ils veulent casser la construction européenne .Voyez le vote sur l’accord d’association avec l’Ukraine, que le référendum néerlandais a rejeté !
Le vrai danger est là, et les pourfendeurs de l’Europe guettent toute opportunité pour l’affaiblir.
Armel TONNERRE
Délégué départemental du Morbihan