Actualités Démocrates d’Europe du 12 octobre 2015.
L’ «AVANT COP 21» :
CONSTATS PESSIMISTES DE DEUX FONDATIONS EUROPÉENNES
Petit manuel de gouvernance et de géopolitique du climat
(EXTRAITS)
«Les bonnes nouvelles ?
La lutte contre le changement climatique s’appuie au niveau mondial, sur un cadre juridique: la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques,
signée en 1992, quasiment tous les pays de l’ONU 196 avec l’Union européenne. Elle tient une réunion annuelle.
Chaque fin d’année, plusieurs milliers de représentants des gouvernements se réunissent pour décider des mesures à prendre lors des Conférences des Parties ou COP -première édition à Berlin en 1995, COP 20 à Lima en 2014 et COP 21 à Paris en fin d’année 2015.
La mauvaise nouvelle ?
Les négociations sont constamment en cours et n’aboutissent, soit à rien, soit qu’à des résultats décevants. Pour comprendre ce qui peut se passer à la conférence de Paris, il faut avoir en tête la spécificité de ces négociations et le risque encouru – on pourrait l’appeler le risque du «Triangle des Bermudes». Il va falloir se frayer un chemin entre les trois pointes de ce triangle: des missions élevées, une gouvernance molle et une géopolitique dure.
Des missions élevées
La convention a pour première mission d’encadrer les efforts mondiaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, de coordonner l’action mondiale en matière d’adaptation aux effets néfastes du changement climatique et enfin organiser les discussions sur le nerf de la guerre : le soutien financier, technologique, et en capital humain que les pays développés doivent apporter aux pays en développement.
Si l’on veut être complet, il faut encore ajouter les nombreuses questions qui portent sur la forme ou sur la mise en œuvre. Par exemple, quel mécanisme de transparence faut-il mettre en place pour vérifier l’avancée de chaque pays vers ses objectifs ? L’aide financière peut-elle provenir du secteur privé ? Qui va additionner les engagements de réduction des émissions de tous les pays pour voir s’ils suffisent à éviter la catastrophe ? Par quelles institutions transiteront les financements pour le climat ?
Une gouvernance molle
Deuxième pointe du triangle, la gouvernance du climat est molle. Toute décision prise lors d’une COP doit être adoptée par consensus, c’est-à-dire à l’unanimité. A titre de comparaison, la plupart des grandes institutions internationales se sont dotées de moyens de prise de décision plus efficaces, même s’ils sont souvent insuffisants.
L’ONU dispose d’un Conseil de sécurité pour les décisions les plus importantes, le Fonds monétaire international attribue à chaque pays un nombre de voix en fonction de sa contribution, laquelle dépend de sa position relative dans l’économie mondiale. L’Organisation mondiale du commerce prend, comme la Convention sur les changements climatiques, ses décisions par consensus, mais s’est dotée d’un organisme puissant de règlement des différends entre pays. Il aurait pu en être de même en ce qui concerne la Convention sur les changements climatiques, mais il est resté à l’état de brouillon faute d’un accord entre les pays, notamment sur la répartition des voix. Par défaut, toutes les décisions doivent donc recueillir l’unanimité des 196 pays.
Une géopolitique dure
Non seulement les missions sont élevées et la gouvernance est molle mais, en plus, elles sont confrontées à une géopolitique dure : des intérêts nationaux fortement divergents. Le PIB, la structure de l’économie, le mix énergétique, les ressources naturelles disponibles, le niveau de développement, mais aussi l’organisation du territoire ou la position géographique d’un pays sont autant de facteurs qui façonnent ses intérêts nationaux.
Pour avoir une chance de peser dans ces débats, à la fois très techniques et très politiques, et mieux défendre leurs intérêts, pratiquement tous les pays ont rejoint une, voire plusieurs coalitions.
Certaines sont des groupes de pays qui existaient déjà dans le cadre de l’ONU, comme le G77 + Chine -groupe historique des pays du Sud- le Groupe africain, l’OPEC (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ou encore le groupe des Pays les moins avancés.
D’autres coalitions se sont constituées spécifiquement pour les négociations climatiques, comme l’Alliance des petits Etats insulaires en développement, le BASIC -la coalition des pays émergents- ou l’Alliance indépendante de l’Amérique latine et des Caraïbes. L’Union européenne, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, le Japon et la Russie négocient en général pour eux-mêmes.
Chaque coalition a son agenda et ses sujets prioritaires. Par exemple, les Pays les moins avancés et les petits Etats insulaires, qui émettent peu de gaz à effet de serre mais qui sont très vulnérables aux effets du changement climatique, demandent une réduction drastique des émissions mondiales et des moyens financiers pour faire face aux catastrophes. Les pays émergents du BASIC insistent sur le fait que les pays développés sont responsables du problème pour refuser de s’engager juridiquement à réduire leurs émissions. Les pays exportateurs de pétrole demandent qu’on les aide à s’adapter à une économie sans pétrole. Les Etats-Unis doivent jouer avec leur Congrès, traditionnellement hostile à la ratification de tout accord international sur le climat. Le Canada et l’Australie, dont les gouvernements conservateurs en place traînent lourdement les pieds, tentent de préserver leur modèle économique qui repose sur l’extraction de ressources fossiles et de hauts niveaux de consommation d’énergie.
C’est en gardant à l’esprit ces données de base qu’il faut penser la COP 21 et mesurer la difficulté de la tâche du Président de la République et du gouvernement. Mais il ne faut pas prendre comme prétexte ces difficultés pour abandonner toute ambition ou renoncer à toute action.
Au contraire ! Les scientifiques et les experts, notamment le GIEC, ont un rôle de lanceur d’alerte à jouer. Les entreprises, en défendant l’idée que la lutte contre le changement climatique est créatrice d’opportunités et génératrice d’innovations, sont des acteurs importants. Les ONG peuvent mobiliser la société civile et apporter des idées. Quant à nous* -Fondation Jean-Jaurès et Fondation européenne d’études progressistes- nous poursuivons nos missions de dialogue dans les pays stratégiques pour la conclusion des négociations. A notre place, nous essayons de faire de la COP 21 un succès à la hauteur de l’enjeu».
* La Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes s’impliquent dans les débats sur la lutte contre le réchauffement climatique. Le projet «Progressistes pour le climat» a vocation à faire entendre des voix progressistes sur ces sujets, en faisant voir les enjeux politiques et sociétaux qui sous-tendent ces négociations. Son ambition est de participer à la construction d’une vision partagée d’un avenir bas-carbone, respectueux de l’Homme et de l’environnement, tout au long de 2015, jusqu’à la conférence Paris Climat qui se déroulera à la fin de l’année.
SOURCES : Article paru dans Euractiv.fr en février 2015