Édito du 1er juin 2015.
Pauvres de nous !
Nul n’a pu échapper aux controverses de la réforme des programmes et à celle du collège, François Bayrou en tête ! la contestation monte ! Pourquoi contester les programmes ?
Attachons-nous aux langues vivantes tout d’abord. Les pays les mieux placés au classement de PISA (1) sont aussi ceux où l’apprentissage est le plus précoce. Pourquoi donc s’insurger ? Tout d’abord parce qu’au nom de l’égalité, on supprime ce qui marche : les classes bi-langues (admirez le beau jargon administratif !). Ensuite, Najat Vallaud Belkhacem répond qu’elle étend l’enseignement des langues à tous. Certes, mais dans quelles conditions ? A raison de deux malheureuses petites heures par semaine ! C’est insuffisant !
Le latin et le grec ! Supprimés ? Absurdité ! Et cela au profit d’une vague étude de l’Antiquité !
Notre langue, comme beaucoup, est une langue étymologique, imprégnée de ses racines latines. Comment, sans le latin, comprendre et retenir ce qui semble des aberrations orthographiques, par exemple, les accents circonflexes, traces d’anciens «s» ?
Le latin sert donc pour l’orthographe pour expliquer, pour donner du sens, faire retenir.
En outre, quel enrichissement de lexique : vous apprendrez que «vespéral» veut dire du soir et vous le rapprocherez de vêpres, vous ne laisserez pas disparaître les mots de votre langue.
Par-dessus tout, le latin provoque une gymnastique de l’esprit, entre raison et intuition. Les parents se battent pour inscrire les enfants dans des clubs d’échecs, afin de développer telle ou telle logique. Qu’ils se battent donc pour la classe de latin ! Le latin est un code, une enquête policière, ludique. C’est un jeu de pistes, d’indices, amusant et formateur, que l’on joue à plusieurs !
Sans compter la culture, l’histoire de l’antiquité que l’on retiendra parce que l’on a travaillé et buté sur un texte : César, La Guerre des Gaules, Cicéron et Verres, (avec la corruption déjà !).
Où est donc le problème puisque cet enseignement subsistera ?
Quelques séances d’histoire de l’Antiquité, en survol supersonique, ne donneront pas de vie, pas de chair à cet enseignement.
Le problème est aussi dans son saupoudrage. Comment aimer le saut en hauteur, si on pratique si peu que l’on n’arrive jamais à sauter. Hé bien , le survol supersonique laisse les enfants sur leur faim, au seuil, dans les limbes, dans le vestibule : jamais ils n’atterriront, ne rentreront dans le vif du sujet et n’iront dans le monde vivant de l’Antiquité !
Nos enfants deviendront intelligents, aimeront l’école, se passionneront s’ils ont pu conquérir le savoir, non le «Reader digest».
Qui ne voit qu il en est de même pour l’histoire ? Si elle a enfin retrouvé un peu de chronologie, on comprend bien que l’histoire thématique ne permet pas de brosser un arrière-fond historique pertinent sans grosses lacunes. L’esprit critique, la mise en question des sources et leur confrontation, les interprétations sont louables mais avec des esprits déjà éclairés, au niveau universitaire, au lycée.
Mais encore faudrait-il des maîtres formés ! L’enseignement peine à recruter et il faut tellement d’enseignants ! Ils accomplissent, certes, des prouesses, mais une formation insuffisante, des savoirs incomplets (je ne parle pas de pédagogie mais des connaissances) conduisent le maître à schématiser, à simplifier quelque chose qu’il ne connaît déjà que peu ! Son enseignement sans chair ni passion ne marquera pas ses élèves.
Le plus grave est cette accumulation dans les programmes où l’on fait «un peu de tout, mais rien de bien», parce que les cours, tels techno ou activités sportives ont presqu’autant d’heures que les matières dites «principales».
Les données statistiques sont peu interprétées, on reste au stade du chiffre ! Oui, un redoublement semble cher et sans bénéfice pour l’enfant. Bien entendu ! Supprimons donc les redoublements et ne nous interrogeons pas sur leur cause, surtout si ce sont des enfants de milieux défavorisés qui en sont les sujets ! C’est pourtant injuste et quasi malhonnête de ne s’arrêter qu’au constat, sans se pencher sur les causes profondes. À quoi sert-il de faire redoubler cet enfant puisqu’il ne sait pas lire ? Comprendra-t-il mieux les énoncés dans la classe supérieure ou ceux-ci ne seront-ils pas encore plus complexes ? Savez-vous que des universités redonnent des cours de français à leurs étudiants tant ceux-ci maîtrisent mal leur langue ? Comment bien apprendre une seconde langue si on ne comprend pas la grammaire de sa langue maternelle ?
Ainsi, au fil du temps, chaque réforme suscite de l’espoir, chaque réforme compromet davantage les contenus car on replâtre, on colmate, on ne reconstruit pas !
Pauvres de nous !
On se battrait pour un moulin ou une chapelle menacés de ruine, mais on laisserait notre langue disparaître, notre enseignement s’effondrer ?
Armelle SEITE-SALAUN
agrégée de lettres, docteur es lettres
1- pour « Program for International Student Assessment » en anglais, « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » en français) études et mesures, menées par l’OCDE, sur les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Leur publication est triennale. La première étude fut menée en 2000.