Sauver les Chrétiens d’ Orient ?
Trois évêques français se sont rendus dans le nord de l’Irak pour rencontrer les chrétiens obligés de fuir Mossoul, deuxième ville d’Irak, tombée sous le contrôle de l’État islamique. Mossoul, qui comptait 35.000 chrétiens en 2003 n’en compte pratiquement plus un seul. En 2003, un million d’irakiens étaient chrétiens, soit 6% de la population. On estime que 60% des chrétiens ont pris en dix ans le chemin de l’exil.Il s’agit de la plus ancienne communauté chrétienne, présente depuis deux mille ans, bien avant que les musulmans ne viennent s’y implanter.
Joseph Yacoub, spécialiste des minorités et des chrétiens d’Orient, né en Syrie, de parents iraniens, et qui parle l’araméen, la langue du Christ, explique à la fois dans «Le Point» et dans «La Croix», que Mossoul «qui en arabe signifie «trait d’union» (située dans le nord de l’Irak, sur la rive droite du Tigre), avant d’être conquise par les arabes musulmans en 641, s’appelait Ninive. Et le christianisme y était présent depuis le 1er siècle. Saint Thomas, l’apôtre, évoqué dans la Bible, aurait évangélisé Ninive, ancienne capitale de l’empire assyrien». Ce qui se passe au nord de l’Irak est monstrueux et exige une forte réaction de la communauté internationale, ce qui n’est pas encore le cas, même si le gouvernement français s’est dit prêt à «favoriser l’accueil sur notre sol au titre de l’asile» des chrétiens d’Irak, et notamment de Mossoul.
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon parle, à juste titre, de crimes contre l’humanité. Depuis l’arrivée des djihadistes du nouveau calife Abou Bakr al-Baghdadi, les chrétiens sont chassés de Mossoul avec une rapidité et une brutalité indignes d’hommes civilisés. Les maisons des chrétiens ont été marquées de la lettre N, qui veut dire Nazaréen (Nazareth est le village de Jésus). A côté du N rouge, est inscrit en noir «Propriété de l’État islamique». Les chrétiens ont 24 heures pour choisir : payer l’impôt des non-musulmans dans les États islamiques, se convertir ou mourir par le glaive. L’immense majorité a choisi de fuir entre le 18 et le 19 juillet vers le Kurdistan et la ville d’Erbil. Au passage de la frontière, ils ont été dépouillés de tous leurs biens et n’ont pu garder que leurs vêtements. Comme le dit Joseph Yacoub : «Les islamistes ne sont pas seulement en train d’exterminer un peuple, ils éradiquent une des civilisations les plus anciennes de l’histoire de l’humanité». Ce «N» n’est pas sans rappeler la sinistre étoile jaune portée par les juifs sous le régime nazi. Il s’agit d’une nouvelle extermination pour des motifs religieux.
Comment tolérer que des hommes puissent exterminer d’autres hommes, sous prétexte qu’ils ne partagent pas leur foi. Cette terreur indigne de l’humanité doit être combattue avec la plus grande force par tous les peuples civilisés. On a parlé du rôle protecteur historique de la France à l’égard des chrétiens d’Orient. Ce rôle vient de l’alliance entre François 1er et le sultan ottoman Soliman le magnifique (contre Charles Quint en 1536). Comme l’explique l’écrivain-historien Gérard Khoury : «Cette entente se poursuit jusqu’en 1920, , date de la chute de l’empire ottoman… Peu à peu, le rôle politique de la France à l’égard des chrétiens d’Orient est devenu purement culturel, sauf durant la présidence du général de Gaulle, en raison de sa politique arabe.
Au Xxème siècle, pensant mieux préserver leurs intérêts dans la région, les grandes puissances ont préféré favoriser les minorités ethniques et religieuses, plutôt que d’appuyer le nationalisme arabe balbutiant. Or, le nationalisme arabe à tendance laïque mettait chrétiens et musulmans sur le même pied, alors que la fragmentation de la région a contribué à favoriser la montée des extrémismes musulmans et à fragiliser les chrétiens d’Orient. Devant l’échec du nationalisme arabe en Egypte, Irak et Syrie, la religion est perçue comme le seul moyen d’unifier la région.
En 1948, la création de l’État d’Israël et sa politique, surtout depuis que la droite israélienne est au pouvoir, a favorisé et renforcé cette fragmentation et cette communautarisation, que la politique américaine a accentuée avec l’intervention en Irak de 2003. Se sont succédées les guerres israélo-arabes que nous connaissons, dont celle du Liban puis d’Irak et aujourd’hui la guerre en Syrie et à Gaza…
En résumé, le rôle historique de la France à l’égard des chrétiens d’Orient n’est plus qu’un souvenir. Mais il reste à notre pays la possibilité de jouer un rôle éthique. Il peut encore défendre les valeurs universelles de la France, qui trouvent leurs fondements dans les Lumières. Elle peut s’élever contre le déni de la cause palestinienne et ne pas rester silencieuse devant la violence à laquelle nous assistons au Proche Orient depuis cinquante ans. «Il est clair que tous les problèmes sont liés au Proche Orient et que tant que le conflit israélo-palestinien ne sera pas réglé durablement avec l’appui de la communauté internationale, le djihadisme se développera et les violences terroristes s’amplifieront sous couvert de motifs religieux intégristes. Barack Obama a rompu avec la politique interventionniste et désastreuse de G.W Bush,mais il n’a pas réussi à convaincre les israéliens de déposer les armes. Cela favorise tous les extrémismes musulmans et met en péril les minorités, et donc la paix dans le monde. Les chrétiens d’Orient ne doivent pas être traités seulement comme des frères dans le Christ pour les chrétiens de France, mais bien comme des frères en humanité par toute la communauté internationale.
La France a un rôle premier à jouer, mais cela suppose courage et conviction, ce qui fait cruellement défaut à nos dirigeants. De toute façon, nous aurons un devoir d’accueil pour les chrétiens qui demanderont l’asile en France.
Jacques JEANTEUR (militant Modem des Ardennes).
Note du Comité de rédaction :
En complément de cet édito, nous signalons l’existence d’une association fondée en 1856 par des laïcs, professeurs en Sorbonne : l’Œuvre d’Orient, seule association française entièrement consacrée à l’aide aux chrétiens d’Orient. Œuvre d’Église, elle est placée sous la protection de l’Archevêque de Paris. Grâce à ses 100 000 donateurs, elle soutient l’action des évêques et des prêtres d’une douzaine d’Églises orientales catholiques et de plus de 60 congrégations religieusesqui interviennent auprès de tous, sans considération d’appartenance religieuse.
L’Œuvre se concentre sur 3 missions — éducation, soins et aide sociale, action pastorale — dans 23 pays, notamment au Moyen-Orient. Son action s’inscrit dans la durée mais son organisation et ses contacts sur le terrain lui permettent une très grande réactivité en cas d’événements dramatiques.
Faire mieux connaître les chrétiens d’Orient, témoigner de leurs difficultés auprès de tous est également au cœur de ses missions. Son rôle est essentiel dans ces régions du monde où les chrétiens sont souvent considérés comme des « citoyens de seconde classe ».