Dans les communes de taille moyenne, les élections municipales sont-elles politiques ?
Expérience d’un ancien élu d’Arradon (1995 – 2008)
Il y a en France 36685 communes : près de 75% ont moins de 1000 habitants, 23% ont entre 1000 et 10000 et 2,5% ont plus de 10000. Il est clair que dans les communes de moins de 1000 habitants, la dimension personnelle des candidats prime sur toute image ou appartenance politique, cela d’autant plus que le scrutin dans ces communes permet à l’électeur le panachage des différentes listes. De plus la possibilité de listes incomplètes autorise les candidatures personnelles. A l’opposé, il est aussi évident que dans les plus grandes villes, la connaissance des candidats par les électeurs : celle véhiculée par les médias avec une grande dimension politique est plus rarement personnelle. Les élections municipales constituent dans ces dernières un enjeu pour les partis politiques, et elles sont aussi souvent utilisées par les candidats comme un marchepied par ceux qui ont des ambitions plus hautes. Pour les communes de 1000 à 10000 habitants, la dimension politique (au sens partisan du terme) des élections municipales mérite d’être discutée. C’est près d’un quart des communes et plus de 22 millions d’habitants qui sont concernés en France. En Bretagne, 56% des 1270 communes sont dans cette tranche démographique.
Une liste est constituée à partir d’un noyau de quelques candidats dont l’un aspire à être maire et les autres adjoints. Quelles peuvent être leurs motivations ?
– Avoir une vision politique (au sens de l’organisation de la cité) de ce que doit être l’évolution de sa commune et vouloir la mettre en œuvre
– Aimer gérer des projets dans une dynamique de groupe
– Souhaiter exercer le pouvoir
– Disposer de revenus : les indemnités de maire ou d’adjoint constituent parfois un complément substantiel, voire la partie principale des revenus. Davantage si cette indemnités’ajoute à d’autres d’un niveau supra communal
– Recueillir une certaine reconnaissance et honorabilité auprès de ses concitoyens
– Vouloir consolider l’importance de son parti politique au niveau local pour, d’une part prendre de l’importance dans celui-ci, d’autre part se donner une légitimité en vue de se présenter à d’autres élections (canton, communauté d’agglomération, assemblée nationale, sénat,…)
– Occuper son temps libre,….
Il est impossible de sonder les cœurs pour savoir quelle est la place prise par ces différentes motivations dans une candidature, quoique parfois cela puisse être assez évident.Logiquement les motivations sont celles qui visent souvent à trouver ce dont on ne dispose pas par ailleurs. Le noyau fondateur d’une liste de candidats se réunit par cooptation à partir d’un tissu relationnel qui peut être fondé sur une appartenance à un parti politique, une association, un regroupement d’opposants à un projet en cours…
Il s’agit en général d’individus qui pensent (et espèrent) partager des valeurs et être capables de travailler ensemble. La politique est donc un ciment possible et courant pour la constitution de ce premier cercle. Mais ensuite, il faut constituer une liste complète d’élus : 19 pour une commune de 1500 à 2499 habitants, 23 de 2500 à 3499, 27 de 3500 à 4999 et 29 de 5000 à 9999. Cette liste doit proposer autant d’hommes que de femmes, et alternativement à partir de 2500 habitants. Et les vraies difficultés commencent ! Les principaux critères utilisés pour compléter la liste sont :
– La représentation des différents quartiers de la commune (but avoué : faciliter le dialogue entre les candidats et futurs élus avec la population, but non avoué : visée électoraliste pour’ la campagne
– La variété socio professionnelle
– La représentation des différentes classes d’âge.
Ces critères rendent la constitution de la liste de candidats bien difficile tant il est clair que pour arriver à la «boucler», plus personne ne demande aux candidats quelles sont leurs idées politiques, au point près (mais qui n’est pas un détail) que certaines listes acceptent des candidats proches d’ idées extrémistes, de droite ou de gauche, et d’autres non. Au final, si politique il y a au départ de la liste, elle se trouve bien diluée dans l’ensemble de celle-ci (mais pas parmi ses responsables) et il est habituellement mal vu de professer publiquement des opinions partisanes ensuite car l’opinion «politiquement correcte» (si on peut dire), c’est que pour des communes de cette taille là, «la politique n’a rien à voir avec les élections». Et chaque liste se creuse alors les méninges pour se donner un nom qui associe les idées de dynamisme, de nouveauté, d’esprit collectif, de bien de tous,…en gommant tout aspect partisan. Il vaut mieux se faire une anti-sèche pour savoir qui est derrière chaque liste tellement leurs appellations se ressemblent !
Les deux principaux outils de campagne sont les tracts et les réunions publiques. Comme on l’a dit plus haut, les tracts ne montrent aucune couleur politique. Dans leurs contenus, ils décrivent à grands traits les projets des candidats en matière d’environnement (que tout le monde veut protéger) et de développement durable, de vie économique (que tout le monde veut maintenir ou développer), d’aménagement de la commune (que tout le monde veut plus belle et plus sûre), de vie culturelle (que tout le monde veut plus riche), de finances (que chacun veut maîtriser)…
Les vraies questions sur les façons d’atteindre ces objectifs et les compétences des candidats pour les atteindre ne peuvent être abordées dans ces documents sur lesquels on pourrait inter changer assez facilement les noms des listes.
Les candidats comptent ensuite sur les réunions publiques pour convaincre leurs concitoyens mais elles n’attirent souvent que 5 ou 10% des électeurs, et si on décompte les familles et amis des candidats, les représentants des listes opposées (qui viennent prendre des notes et non débattre), c’est moins encore.
Finalement la plupart des électeurs, qui ne sont pas venus aux réunions électorales et qui ont lu (ou pas) des tracts aux contenus semblables, qui ne connaissent ni les candidats ni leurs compétences, votent pour la liste qui leur semble la plus proche du parti politique qui a leur préférence du moment. Et je connais des électeurs qui voteront même pour une liste en se bouchant les yeux et les oreilles pour ne voir ni entendre ceux auxquels ils vont apporter leurs suffrages, par une sorte de discipline de vote qui leur interdit de voter pour d’autres candidats pourtant plus proches de leurs idées.
Donc, oui, cette élection est bien politique et il y a une sorte d’hypocrisie à le cacher.
En conclusion : Quel est le résultat de tout cela ? Dans une commune de 5 à 10000 habitants, est-il facile pour une seule liste de regrouper 29 candidats désireux de travailler sérieusement et satisfaisant aux critères déjà cités ? La réponse est non, ce n’est pas facile du tout pour une seule liste. Mais cela devient quasi impossible quand il s’agit de constituer au niveau de la commune non pas une liste, mais plusieurs qui représenteront la droite, la gauche ou le centre… Mon expérience des élections, et notamment des dernières d’Arradon (où nous nous sommes arrêtés à l’issue du premier tour avec environ 20% des suffrages), c’est qu’en «faisant son marché» dans les trois listes en présence, on aurait sans doute pu en constituer une à peu près correcte pour le bien de la commune, meilleure que chacune des trois où il y avait des bons mais hélas aussi de moins bons candidats. Mais nous serions là dans un monde idéal. Celui où on ne s’intéresse qu’aux projets concrets et aux façons de les mener à bien. Mais il faut tenir compte des réalités, nous ne vivons pas dans ce monde là. Les partis politiques sont incontournables. Personnellement j’ai choisi le Mouvement Démocrate au sein duquel on est prêts à travailler avec ceux qui sont capables d’écoute et de tolérance, qui excluent le sectarisme, et sont de droite comme de gauche. C’est difficile à faire comprendre que dans notre conception des élections municipales on peut apporter son soutien à Alain Juppé à Bordeaux ou à Gérard Collomb à Lyon car on doit d’abord reconnaître le rôle positif qu’ils jouent pour leur ville.
Jean-François Petiot